Journal de l'année Édition 1981 1981Éd. 1981

Le docteur William Carlos Williams, mort en 1963, a profondément influencé l'avant-garde américaine. Paterson, son livre le plus fameux, est, comme l'écrit Serge Fauchereau dans sa préface à la traduction française, « un poème narratif : depuis sa fondation jusqu'à aujourd'hui mais sans chronologie, c'est l'histoire de la ville ; c'est aussi le récit de la vie d'un homme, un poète, un médecin, de ses déambulations dans la ville et de ses ruminations intérieures ». Formant un patchwork savamment décousu, les fragments en prose — documents, extraits de journaux, lettres — alternent avec des séquences en vers : le narré réaliste de la facticité, dans tous les sens du terme, de l'American Way of Life.

Cette facticité qui est aussi linguistique — qu'est ce que l'américain dans l'anglais ? — soutient le projet littéraire de Williams : réécrire, réinventer l'Amérique à partir des récits de sa fondation et de son histoire. Cette épopée se déploie dans une œuvre magistrale, Le grain d'Amérique. Comme Williams est décidément très à l'honneur cette année, on peut compléter ces lectures par celles d'un recueil de nouvelles, Filles de fermiers, et d'un roman, Mule Blanche ; on y ajoutera l'anthologie établie par J. Roubaud et M. Deguy, Vingt poètes américains.

L'événement éditorial que constitue cet ensemble de traductions d'œuvres de Williams relègue au second plan, on ne le regrettera pas trop, Le bûcher de Times Square de Robert Coover, Le grand roman américain de Philip Roth, La vie multiple de William D. de Bernard Malamud. Quant au Choix de Sophie, déjà l'un des best-sellers de l'année, il nous faut avouer nos réticences, notre malaise devant un roman dont les qualités sont si évidentes et en même temps si douteuses, si équivoques.

Williams Styron a mis tout son métier, qui est grand, son sens de la progression dramatique et de la construction romanesque au service d'une intrigue fiévreuse, où les bouffées d'humour succèdent aux bouffées délirantes jusqu'au paroxysme, mais par bien des aspects stéréotypée ; la mort en est la trame. Un génocide, en l'occurrence Auschwitz, tous les génocides et les massacres en masse, parce qu'il est irréductible à tout récit, risque de se transformer en un argument littéraire, voire souvent commercial.

Ne quittons pas la littérature de langue anglaise sans signaler quelques romans : Le roi des Schnorrers d'Israel Zangwill (la communauté juive de Londres au xviiie siècle vue par un écrivain du xixe), Lunar Caustic de Malcolm Lowry, Le docteur Fisher de Genève de Graham Greene, Équinoxe de Eva Figes, Le jardin de ciment de Ian McEwan. Lauréat du prix du meilleur livre étranger, André Brink témoigne, dans Une saison blanche et sèche, contre l'apartheid et pour l'éveil d'une conscience politique après Soweto.

Découvertes

La littérature allemande consolide ses positions avec, notamment, la traduction d'œuvres classiques. Les Petits écrits et anecdotes de von Kleist rectifient l'image un peu conventionnelle de l'aristocrate introverti, du suicidé romantique, en faisant apparaître l'observateur perspicace des événements politiques et littéraires de son temps.

Également « classiques », trois romans importants de Theodor Fontane : Effi Briest, Dédales, Le Stechlin ; un écrivain du xixe siècle encore mal connu en France mais dont l'importance en Allemagne a été et reste considérable. Fontane est le peintre, tour à tour rêveur et réaliste, de la nature et des mœurs provinciales, celles de Berlin et de la Prusse bismarckienne, du croisement entre drames sentimentaux et déterminisme social, de l'irrésistible ascension de la bourgeoisie et du déclin de l'aristocratie prussienne engoncée dans ses cols officier trop étroits et dans son conformisme.

C'est dans une belle traduction de Colette Zennadi-Albertini et Guillevic qu'il nous est donné de découvrir l'écriture simple et raffinée de l'un des plus grands poètes de langue allemande, Stephan Hermlin. Crépuscule est la chronique d'un emprisonnement dans un pays emprisonné, d'une adolescence communiste sous Hitler : la perception cotonneuse du cauchemar dans ses aspects quotidiens les plus infimes qu'évoque aussi Irmgard Keun dans Après minuit : un portrait d'une Allemagne blafarde.