C'est pourtant l'option atlantique de François Mitterrand qui semblera la plus réaliste aux Français et l'option européenne du président de la République qui semble idéaliste. Cela vaudra d'ailleurs pour toute l'année : bien que dans les sondages la politique extérieure de la France soit largement approuvée, elle pèsera peu, et, quand elle pèsera, ce ne sera pas au bénéfice du chef de l'État.

Le malentendu

La situation économique et sociale, elle aussi, continue à se détériorer. Le nombre des chômeurs augmente comme une inexorable marée. Des mécontentements catégoriels se font durement sentir. C'est Alice Saunier-Seïté (le trop brutal ministre des Universités) qui hérisse son secteur avec des suppressions de filières de second et troisième cycles. C'est Alain Peyrefitte, auteur élégamment libéral mais garde des Sceaux prosaïquement répressif, qui sanctionne des magistrats ; ce sont les marins-pêcheurs qui font grève et occupent les ports et l'actualité estivale ; ce sont les éleveurs de veaux ulcérés du boycott des bêtes nourries aux hormones qui s'agitent ; ce sont les autonomistes corses qui multiplient les attentats, et l'extrême droite activiste dont l'antisémitisme se réveille. Dans chacun de ces cas, le gouvernement, comme de juste, est mis en accusation. Raymond Barre, lui, plus impavide que jamais, annonce pour 1981, l'année des présidentielles, un budget pur de « considérations électoralistes » ; l'État fera des économies, l'investissement sera aidé, la pression fiscale n'augmentera pas, mais les perspectives restent mauvaises, pas question de le dissimuler. Les Français sont donc de mauvaise humeur.

Et pourtant, chacun sait que Valéry Giscard d'Estaing sera candidat et chacun, ou presque, croit qu'il l'emportera. Mystère, intoxication psychologique ? Point du tout : division chez les rivaux ; discorde chez l'ennemi. Rocardiens et mitterrandistes se chamaillent, et l'on en rit ; communistes et socialistes polémiquent, et l'on en bâille ; CFDT et CGT s'apostrophent, et l'on n'écoute plus. Jacques Chaban-Delmas, président de l'Assemblée nationale, soutient allusivement la candidature de Michel Debré et l'Élysée s'en réjouit, comme de tout ce qui dérange Jacques Chirac. En somme, à la fin de l'été, il y a déjà beaucoup de petits candidats déclarés à gauche : Roger Garaudy, Ariette Laguiller, Michel Crépeau (en principe), Brice Lalonde (sous réserve), Alain Krivine ; du côté de la majorité, Michel Debré, toujours impétueux, dresse déjà ses plans de campagne. Les giscardiens en concluent que, dans l'opposition, la dispersion s'annonce bien et que, chez les gaullistes, la division est garantie : d'où leur confiance.

Mais ils s'abusent car, à regarder froidement ce qui se passe, les choses ne s'annoncent pas si bien que cela pour Valéry Giscard d'Estaing. Certes, Georges Marchais présente (à l'occasion de la fête de l'Humanité) un nouveau livre, L'espoir au présent, qui n'est pas précisément unitaire. Mais, avant même d'être investi officiellement, il souligne aussi qu'il sera un « candidat antigiscard ». Pour qui connaît le coffre et l'aplomb du leader communiste, cela signifie qu'il faut s'attendre à un réquisitoire sans broderies, mais non sans cicatrices. Et puis, au Club de la presse d'Europe 1, François Mitterrand, ironique, laisse tomber que lui « sait » qui sera le candidat du PS. Comme il a, lui aussi, consacré ses vacances à préparer un ouvrage politique, Ici et maintenant, il pourrait donc, finalement, se mettre sur les rangs. Or Valéry Giscard d'Estaing aurait de beaucoup préféré avoir Michel Rocard comme challenger.

Au sein même de la majorité, si Michel Debré complique le jeu de Jacques Chirac, il ne ménage pas non plus le président en exercice. Il le fustige même carrément à la télévision, à la radio, dans la presse. Le maire de Paris en fait autant et laisse aux journées parlementaires du RPR, qui se tiennent cette année-là à Strasbourg, ses principaux lieutenants déverser force fiel contre le chef de l'État et quelque miel en direction des socialistes.