L'épidémie a gagné le centre des villes et, avec des nuances, n'épargne guère les villes nouvelles, où l'on se permettait pourtant bien des excentricités.

Le Paris de l'an 2000 aura des toitures en zinc, des persiennes aux fenêtres, des rues et des cours, et, si l'on a les moyens, de la pierre en façade. Les urbanistes ont remisé leurs plans de démolition, leurs dalles aux quatre vents, leurs tours de verre et d'acier. L'Amérique est loin, derrière la vieille Europe.

Le seul à oser encore les grands travaux, en ces temps de crise, est Jacques Chirac, le maire de Paris, qui veut marquer son règne par un palais des Sports, qui mangera un bon quart des entrepôts à vin de Bercy, et dont la silhouette mécaniste sera arrondie, adoucie par de puissants contreforts de verdure.

Familier

En ville, l'heure est à la discrétion, au mimétisme. On rêve de construire des immeubles qui auraient l'air d'avoir toujours été là, des coins de rue, des pâtés de maison, que personne ne remarquerait. Parfois, on y parvient. Souvent, on voit trop grand, on en fait trop d'un coup, et là, malgré le maquillage, le béton accuse son jeune âge.

À deux pas de Beaubourg, qui vieillit bien sous le succès populaire et fait figure d'ancêtre avec son indécente tripaille de métal, son insolence presque dépassée, on inaugure en septembre le quartier de l'Horloge avec une superbe horloge à automates, véritable attraction. L'architecte Jean-Claude Bernard s'est efforcé (forcé ?) de donner une silhouette familière à ces immeubles de logements et de bureaux : fenêtres étroites, balcons discrets, toitures en zinc et terrasses cachées, teintes pastel. On est loin de l'architecture de promoteur qui fait filer des balcons de verre dans tout le XVIe arrondissement. Un remords tardif a fait concentrer tout le pittoresque, pudiquement absent de la construction elle-même, dans un mobilier urbain à la Peynet : lampadaires, corbeilles de square, plaques de rues bleues et vertes, fontaines de fonte, pavés...

On peut espérer que la recette sera plus subtile près du trou des Halles, où les derniers projets définitifs sont choisis depuis que le maire a pris le dossier en main et souhaité une architecture « discrète et de bon goût ». C'est l'équipe Ducharme-Larras-Minost, auteurs d'excellents quartiers dans la ville nouvelle de Marne-la-Vallée, qui a dessiné les immeubles de logements qui remplaceront ceux de Bofill et masqueront la monstrueuse centrale de climatisation. Autour du Forum, où quatre étages de galeries commerciales entourant une place basse bordée d'arcades vitrées sont ouvertes à l'automne, seront édifiées, à l'est du jardin, des corolles de verre et d'acier par Jean Willerval. Architecture ludique, coûteux gadget, qui devrait plaire.

Enfin, entre la rue Berger et le square des Innocents, l'hôtel prévu aura des façades néo-quelque chose dues à Michel Marot : pans de verre alternés de pignons de pierre pointus.

Le cocktail des bons goûts, présenté par le maire et ses services, est ardemment combattu par un baroud d'honneur de la jeune architecture. Un concours international (600 projets rendus) est jugé en janvier 1980 par des architectes français et étrangers, dont certains, comme Philip Johnson, sont célèbres, et auxquels se sont joints les représentants des associations de quartier. Baroud d'honneur qui remue beaucoup l'opinion locale et permet d'étaler au grand jour les tendances discordantes de la recherche architecturale mondiale.

Des projets fous, et drôles, aux esquisses les plus concentrationnaires et les plus sinistres, la profession se livre à une séance publique de divan. Les professionnels français qui ont quelques chantiers et qui espèrent les garder se sont tenus à l'écart du carnaval. Les étudiants, les théoriciens et les grands noms étrangers, pour qui le centre de Paris est le nombril du monde, ont fait la fête. Sans lendemain.

Sans bruit

Mis à proprement parler au ban de la ville, chassé des Halles par Jacques Chirac qui lui a donné un lot de consolation à Montparnasse, Ricardo Bofill a construit sans bruit, dans la ville nouvelle de Saint-Quentin-en-Yvelines, un ensemble de 300 logements sociaux. Un plan carré, très néoclassique, des immeubles de quatre étages sagement rangés autour de jardins-patios et le long de rues rectilignes, une place centrale bordée d'arcades (qui n'abriteront malheureusement aucun magasin), l'ensemble est très dessiné comme un jardin de Le Nôtre et ouvre sur un lac : les bâtiments les plus spectaculaires seront édifiés en aqueduc. Mais ce qui est construit donne déjà une belle idée de la qualité du fini (un béton lisse et riche comme la pierre) et du dessin élaboré dont sont capables les architectes du Taller de Arquitectura de Barcelone.