Le montant du préjudice causé au casino est évalué, si l'on se base sur les aveux des accusés, à environ 400 000 F et à 14 000 000 si l'on en croit les dirigeants du Ruhl. La personnalité du directeur du casino, Jean-Dominique Fratoni, est là pour aiguiser l'intérêt.

L'affaire démarre sur un flagrant délit de vol. Un inspecteur du service des jeux surprend un croupier glissant une plaque de 1 000 F dans sa chaussette (on sait que la tradition veut que les croupiers dans l'exercice de leurs fonctions portent des habits aux poches cousues).

Une enquête est ouverte. Elle permet de découvrir de nombreux coupables qui employaient plusieurs techniques. L'une consistait, pour des croupiers prestigitateurs, à soustraire des plaques de joueurs perdants et à les remplacer sur des numéros choisis au hasard. Si l'un de ces numéros sortait, un baron attentif encaissait les gains.

Une autre méthode exigeait encore plus de dextérité. Elle consistait à déplacer une plaque sur le numéro gagnant à l'instant précis où les joueurs n'avaient d'yeux que pour la bille parvenant au terme de sa course.

Parfois aussi les croupiers utilisaient la méthode dite de l'orphelin, en jouant les gains non réclamés par les joueurs, alors que, normalement, ces gains doivent revenir à la caisse.

Traduits en correctionnelle, les croupiers se sont plaints de leurs mauvaises conditions de travail et de leurs salaires. Le P-DG J.-D. Fratoni, souvent présenté comme un homme d'affaires plus ambitieux que sentimental, s'est déclaré douloureusement surpris de l'ingratitude de son personnel, dont il a rappelé que les rémunérations allaient de 3 250 à 10 000 F.

Durant les trois jours d'un procès particulièrement terne, la question no 1 ne sera pas posée : comment les dirigeants du casino ont-ils pu ignorer pendant plus d'un an les manœuvres frauduleuses de certains membres du personnel, alors que le déficit était de l'ordre de 14 millions ?

La défense plaide « un moment d'égarement », un cadre de travail spécial. Condamnations légères : des peines de prison presque toutes assorties d'un sursis.

Le mystère Agnès Le Roux

La guerre qui oppose depuis des années le casino du Ruhl, appartenant à Jean-Dominique Fratoni, et le Palais de la Méditerranée, fief de Renée Le Roux, change de dimension en octobre 1978. Depuis un an, Agnès la fille de Renée Le Roux, a disparu. Un mystère qui pourrait bien être un drame.

La jeune femme, qui ne s'entendait pas avec sa mère, avait été à l'origine de la prise de contrôle du Palais de la Méditerranée par le P-DG du Ruhl. Lors d'une assemblée générale, elle avait voté avec les concurrents de sa mère.

Cette trahison perd son caractère de comédie lorsqu'Agnès tente de se suicider, à deux reprises, les 4 et 6 octobre. Trois semaines plus tard, apparemment rétablie, elle annonce son départ pour Paris. Et puis plus rien : Agnès Le Roux disparaît. Trois mois après, Renée Le Roux porte plainte contre X pour séquestration.

L'enquête attire l'attention sur Me Maurice Agnelet, ami et avocat d'Agnès. Celui-ci déclare que sa cliente a reçu de J.-D. Fratoni une somme de 2 400 000 F, en échange de son vote favorable lors de l'assemblée générale. Me Agnelet précise qu'il a encaissé l'argent à Genève et l'a viré sur un compte numéroté pour lequel Agnès a une procuration. Renée Le Roux réfute ces déclarations. « Comment expliquer, dit-elle, que cet argent ait été placé sur un compte à la disposition d'Agnès, en contrepartie d'une cession d'actions qui ne pouvait être effective avant 1981 ? »

La tâche du juge Bouazis s'avère des plus ardues. Au lendemain de ses suicides manques, Agnès semblait s'apprêter à faire un voyage. Elle avait acheté une voiture de grand tourisme, avait fait renouveler son passeport, souscrit une assurance et résilié son bail d'appartement. Selon ses proches, la jeune femme, très éprise de son avocat, Me Agnelet, espérait partir et refaire sa vie avec lui. Le juge oriente ses investigations sur le cheminement des fonds déposés en Suisse. Là, pense-t-il, réside le secret de la disparition d'Agnès Le Roux.

Roulettes traquées

C'est une véritable mafia internationale que la police des jeux démasque en février 1979. Sa technique était simple mais délicate et supposait de nombreuses complicités locales. Il s'agissait, pour les manuels de la bande, après s'être introduits dans les salles de jeux pendant les heures de fermeture, de bricoler habilement les tables. Le travail consistait à fausser légèrement les ailettes séparant les alvéoles du cylindre dans lesquelles la bille s'immobilise pour désigner le numéro gagnant. Soit en desserrant quelques vis, soit en les remplaçant par d'autres d'un pas différent, ils réussissaient à faire sortir à volonté une dizaine de numéros de leur choix. Il suffisait à leurs comparses de miser sur ces numéros. Immanquablement, la chance souriait. Dix casinos français auraient ainsi été utilisés par le gang, qui aurait réalisé une escroquerie de quelque 27 millions de francs.

Dieppe et Bandol

34 fraudeurs, dont 23 employés du casino, sont inculpés le 23 mai 1979. Ils auraient détourné en quelques mois la moitié de la recette annuelle de l'établissement. Pratiquant notamment l'annonce à la volée, des croupiers plaçaient, après l'arrêt de la roulette, la mise de leurs complices sur le bon numéro. Il faut bien aider la chance ! D'autres croupiers apportaient gentiment 3 000 F de jetons à un client qui avait demandé la monnaie d'une plaque de 1 000.