Dans ces cas, la folie semble bel et bien expliquer le comportement de ces tueurs. En comparaison, leur crime devient presque rassurant, parce que quasi rationnel.

Serge Duval, par exemple, n'était plus totalement responsable de ses actes lorsqu'il a tué son avocat, à Rouen, le 22 décembre 1978. Ce peintre de 34 ans supportait très mal de ne plus voir son enfant depuis son divorce prononcé aux torts de sa femme. À sa demande, l'avocat, maître Jean Mars, avait engagé les procédures permettant de retrouver l'enfant.

Le 22 décembre, Serge Duval rend visite à son avocat. Il lui reproche de faire traîner les choses, en particulier de ne pas lui remettre les pièces du jugement permettant de requérir la force publique pour retrouver le bébé. Une discussion d'argent s'engage avec un des employés du cabinet, et Duval part chercher, dit-il, l'attestation prouvant qu'il bénéficie de l'aide judiciaire.

Soudain, dans la rue, tout bascule. Incapable de récupérer son enfant, il se sent victime d'un complot, persécuté par son ex-femme, par son avocat, par la terre entière. Il achète un couteau et, deux heures plus tard, sonne chez Me Mars. Lorsque l'avocat lui ouvre, il le poignarde. La police l'arrêtera un peu plus tard. Serge Duval avouera tout aux policiers, mais sera incapable d'expliquer « ce qui l'a pris ».

Violence gratuite

Daniel Guilbaud non plus n'a pas su expliquer. Le 1er février 1979, il s'engouffre dans la station de métro Montparnasse-Bienvenue. Il a sur lui une somme d'argent et une carte orange valable pour le mois de février. Pourtant, par jeu, il emprunte à contresens un portillon de sortie. Mal lui en prend : un employé de la RATP le surprend et l'interpelle. Devant ses protestations, il appelle à la rescousse trois gendarmes qui patrouillent dans le couloir voisin. Daniel Guilbaud sort ses papiers. Il est Haïtien, son permis de séjour et sa carte de travail sont en règle. Un des gendarmes, Yves Mocaer, l'accompagne avec l'employé de la RATP vers un local discret où va être dressé le procès-verbal.

Soudain, Daniel Guilbaud sort un couteau. La lame jaillit et il frappe le contrôleur, puis se rue sur le gendarme. Yves Mocaer dégaine son arme et tire dans les jambes du forcené. Les balles ricochent sur le sol, c'est la panique. Guilbaud revient à la charge et frappe à deux reprises Yves Mocaer, qui tire encore deux fois et s'affaisse sur le sol. Blessé aux jambes, le forcené est maîtrisé par les deux autres gendarmes, revenus sur leurs pas en entendant le premier coup de feu.

Dans une mare de sang, Yves Mocaer agonise. Il meurt avant que les secours arrivent sur place. Ligoté à même le sol, Daniel Guilbaud est redevenu parfaitement calme. « Je ne comprends pas, je ne me rappelle de rien » répète-t-il aux policiers. Il n'est pas ivre ni drogué. Il venait d'être licencié ; quelques jours plus tôt, sa fiancée avait rompu. Il avait acheté le couteau une heure plus tôt, pour l'offrir à un ami, prétendra-t-il.

Pris au piège

Quinze jours plus tard, sur un autre quai du métro parisien, à la station Porte de Vanves. L'ambiance est joyeuse. Les supporters de l'équipe de France de rugby ont commencé, il y a plusieurs heures, à fêter la victoire du XV tricolore sur l'équipe du Pays de Galles. Si, par hasard, on croise un groupe de supporters gallois, reconnaissables à leur mine déconfite, les quolibets fusent.

Stephen Batman, venu à Paris avec six camarades de travail, est ainsi pris à parti par un groupe de jeunes Français. Après un échange d'insultes bien senties que Gallois et Français ne comprennent pas mutuellement, après même quelques coups échangés brièvement, les Gallois s'éloignent vers le bout du quai. L'un d'eux reste en arrière, se sent pris au piège, appelle à l'aide. Quand ses camarades le rejoignent, il s'écroule sur le sol : il a reçu un coup de couteau en pleine poitrine. Les jeunes Français ont disparu.

Jean-François, l'assassin de Stephen Batman, n'a que 17 ans. Il racontera son geste aux policiers 48 heures plus tard, après s'être constitué prisonnier. « J'ai vu ce gars avancer vers moi. Il avait l'air costaud et décidé à frapper. J'ai eu peur. J'ai sorti mon couteau et j'ai fait des moulinets avec mon bras. Je l'ai touché sans le vouloir. »