Journal de l'année Édition 1979 1979Éd. 1979

CEE

L'année de l'Europe

Une Assemblée élue pour la première fois au suffrage universel, un nouveau système monétaire, la définition d'une attitude commune face à la deuxième crise du pétrole, le renouvellement de la convention avec les pays du tiers monde associés à la Communauté, l'entrée d'un nouveau membre dans celle-ci (la Grèce), la conclusion d'un nouvel arrangement commercial avec les États-Unis et le Japon : 1978-1979 aura, véritablement, été l'année de l'Europe. Comme quoi c'est dans l'adversité que celle-ci progresse vers son unité. La France peut se flatter d'avoir joué un rôle déterminant dans toutes ces innovations, car le hasard a voulu que ce soit son tour de présider le conseil des ministres de la Communauté durant le premier semestre de 1979 (la présidence change tous les six mois, selon l'ordre alphabétique).

Ambitions

De toutes ces transformations, la plus ambitieuse n'est pas la plus spectaculaire. C'est la création d'un nouveau système monétaire. L'Europe avait une frontière économique commune, matérialisée par la disparition des droits de douane entre ses membres et l'existence d'un tarif douanier commun vis-à-vis de l'extérieur ; elle avait quelques politiques communes, essentiellement en matière agricole et en matière commerciale ; elle avait des institutions pour gérer tout cela ; mais elle n'avait pas de monnaie, symbole séculaire pourtant d'une collectivité unifiée. Le traité de Rome ne l'avait pas prévu. Il avait fallu bricoler des unités de comptes pour faire des comptes communs malgré l'existence d'une pluralité des monnaies. Derrière l'unité de compte se cachait en réalité une référence au dollar, monnaie internationale indiscutée jusqu'en 1968.

À partir de cette date, la crise monétaire internationale bouscule toutes les références ; elle fait tomber la couronne du dollar, mais ne le remplace pas pour autant par une nouvelle monnaie internationale. Les économies des pays de la Communauté sont menacées d'être emportées dans la tourmente. Aussi, au sommet européen de La Haye, en décembre 1969, les gouvernements des pays membres décident de réaliser par étapes l'unité monétaire de l'Europe. Cette belle ambition ne résiste pas aux orages monétaires qui se multiplient : dévaluation du dollar en 1971, généralisation du flottement des monnaies qui n'ont plus de taux de change fixes les unes par rapport aux autres. Seul rescapé de cette tentative avortée, un petit serpent monétaire, zone réduite de changes relativement fixes entre quelques monnaies étroitement liées au mark (le franc belgo-luxembourgeois, le florin hollandais et la couronne danoise). À deux reprises, le franc tente de rejoindre le serpent, d'abord sous Georges Pompidou, puis sous Valéry Giscard d'Estaing. En vain. Les coups de vent sont trop violents et la monnaie française est rejetée dans les vagues du flottement des changes.

Mais la même crise monétaire qui avait fait échouer la première tentative d'union monétaire allait être à l'origine d'une nouvelle tentative en 1978. En effet, on attribue aux désordres monétaires une part des responsabilités dans le développement du chômage en Europe (6 millions de chômeurs dans la Communauté, soit 5 travailleurs sur 100). Ils expliquent aussi la diffusion d'une inflation anarchique qui fait qu'en 1978 la hausse des prix varie de 1 à 6 selon les pays, au sein de la Communauté. Avec les changes flottants, les autorités de Bruxelles doivent se livrer à des acrobaties de plus en plus périlleuses pour faire fonctionner le Marché commun, en particulier dans le domaine agricole — la règle d'un marché unique, c'est, en effet, l'unité de prix. Mais que signifie celle-ci quand le cours des monnaies varie tous les jours ? Il a fallu inventer un système compliqué — et dangereux — de montants compensatoires qui permet de maintenir la fiction d'une unité de prix. Ce mécanisme finira par faire éclater le Marché commun agricole s'il n'est pas repensé.

Second souffle

En outre, face à la crise monétaire, au désengagement américain, à l'apparition de nouvelles puissances (pays pétroliers, Chine, Brésil, etc.), l'Europe cherche son second souffle. L'élection de l'Assemblée européenne au suffrage universel n'est qu'un symbole puisque, pour l'instant, cela ne change rien aux pouvoirs très restreints d'une Assemblée qui ne vote pas de lois (en matière européenne, la loi, c'est le traité) et qui ne peut pas renverser le véritable gouvernement de la Communauté, qui n'est pas la commission de Bruxelles (responsable, elle, devant l'Assemblée), mais le conseil des ministres. La création d'une union monétaire peut être un levier politique suffisamment puissant pour donner un nouvel élan à l'unité européenne, et suffisamment discret pour ne pas réveiller les oppositions nationalistes.