Journal de l'année Édition 1978 1978Éd. 1978

Et c'est la reprise, dès le vendredi, alors que rien n'est joué. Une reprise qui se précipite au lendemain du premier tour, dans une séance historique qui étonne les uns, scandalise les autres. Ne pas vendre la peau de l'ours ? Le marché n'en a cure. Les sondages avaient tort. Pour lui, la situation est claire, même s'il ne prévoit pas encore l'ampleur du succès du 19 mars.

Tournant

Il n'y aura donc pas de nationalisations. Ni celle des neuf grands groupes industriels nommément désignés, ni celle de leurs multiples filiales dont beaucoup sont cotées, ni celle des secteurs stratégiques tels que l'armement et les services publics, ni celle du crédit. C'est dire que le nombre des valeurs sur lesquelles le marché va pouvoir désormais raisonner est considérablement élargi. On délaisse aussitôt l'emprunt 7 % 1973 garanti sur l'or, le 4,5 % 1973 indexé sur le napoléon, le fonds hollandais Rorento axé sur les obligations internationales, pour se précipiter sur les ex-nationalisables, sur les valeurs de croissance, sur n'importe quoi, y compris la sidérurgie. Une hausse à la verticale de 22 % en quelques jours, avant que ne se manifeste le premier besoin de souffler pour repartir de plus belle en avril jusqu'à 76,2. Les cours viennent de regagner le tiers de leur valeur ; cela avec un développement spectaculaire du volume des échanges : on a pu traiter en une seule séance jusqu'à 500 000 actions de la Financière de Paris et des Pays-Bas. Ce qui ne s'était jamais vu.

Une hausse d'ailleurs alimentée par les bonnes nouvelles, comme le doublement du dividende de l'Auxiliaire d'entreprises, ce qui témoigne du désir profond des dirigeants de sociétés de faire un effort pour des actionnaires trop longtemps maltraités, ou l'amélioration de la situation des grands magasins, qu'ils s'appellent Printemps, Bon Marché ou Nouvelles Galeries.

Plus-values

Une consolidation s'impose. Le marché du terme retrouve un équilibre global qui n'exclut pas la persistance de points d'intérêt, comme Béghin-Say ou Perrier, qui vend déjà le succès escompté aux États-Unis. Le marché du comptant demeure plus longtemps déséquilibré en raison de son étroitesse : on ne pouvait pas vendre, on ne peut plus acheter, sinon au prix d'écarts sensibles. Cette pause du mois de mai s'explique en outre par l'attente des mesures qui doivent toucher le marché financier. Mesures stimulantes d'abord qui ne seront connues qu'en juin et feront le choix entre les propositions des rapports Delouvrier et Camdessus sur l'orientation de l'épargne vers le secteur productif, mesures moins plaisantes aussi puisqu'il faut bien mettre au point l'imposition des plus-values boursières promise par le président Giscard d'Estaing.

Rapidement adopté par le gouvernement, le projet est présenté par le nouveau ministre du Budget, Maurice Papon. Il vise, dans un souci de justice fiscale, à épargner les petits actionnaires, tout en s'attaquant aux habitués de la Bourse. Relativement simple, sélectif, il ne retient pour l'essentiel que des taux forfaitaires d'imposition qui s'avèrent moins durs qu'on ne le craignait. Les réactions n'en demeurent pas moins partagées.

Bien que la politique de vérité des prix, à commencer par ceux des services publics, doive se traduire par un taux d'inflation encore élevé en 1978, bien que la situation de l'emploi demeure préoccupante, une chose paraît certaine, mars 1978 aura marqué un tournant profond pour la Bourse de Paris qui, libérée de ses hypothèques politiques, doit être à même de retrouver le rôle qu'elle n'aurait jamais dû cesser de jouer dans une économie libérale.