Le paradoxe est que cette novation n'était pas le fruit d'une quelconque démagogie électorale, elle ne traduisait nullement un changement de cap. Certes, en juin 1977, le gouvernement avait encore la volonté de présenter un budget en équilibre ; il ne faisait que se conformer par là à la règle non écrite que V. Giscard d'Estaing, alors ministre des Finances, avait voulu faire inscrire explicitement dans la Constitution. Mais c'était raisonner sans la crise.

La récession a créé un écart entre les recettes et les dépenses : + 5,8 milliards d'excédent en 1974, – 37,8 de déficit en 1975 ! Et on ne peut plus boucher ce trou, à cause de la croissance lente que la crise impose. Plus la croissance est lente, plus le trou a même tendance à s'agrandir. Cela explique la coexistence apparemment paradoxale entre l'apparition du premier déficit prévisionnel depuis neuf ans et le maintien de l'effort de rigueur. Accentuer celle-ci au point d'équilibrer les dépenses et les recettes publiques aurait abouti à brider encore plus la marche de l'économie... et par conséquent à rouvrir le trou budgétaire.

Objectifs

Le gouvernement a donc assigné trois objectifs au budget de 1978 : « défendre le franc, poursuivre le redressement économique » mais aussi « soutenir l'activité » et, décidant de présenter « des comptes honnêtes », il a abandonné le sacro-saint principe de l'équilibre budgétaire.

« Il ne faut pas avoir un respect dogmatique de l'équilibre des finances publiques », a expliqué le Premier ministre : « on ne peut réaliser l'équilibre ou l'excédent dans l'inflation, et subir un découvert dans l'assainissement ». Et c'est vrai qu'il y avait une tendance spontanée à l'équilibre dans les années de forte croissance, dans l'inflation, tandis que la stabilisation semble incompatible avec l'équilibre. La règle que s'est cependant fixée le gouvernement est de limiter le déficit au montant susceptible d'être couvert par l'épargne, afin de ne pas procéder à la création monétaire, qui serait inflationniste. Comment s'y est-il pris, subissant par ailleurs la contrainte de la proximité des élections ?

En ce qui concerne les recettes, le budget de 1978 prévoyait la majoration d'un certain nombre de taxes indirectes, plus ou moins indolores parce que frappant les automobilistes, les fumeurs et les joueurs : l'essence, le tabac, le loto, la vignette étaient majorés. Par ailleurs, la reconduction de la taxe sur les éléments du train de vie et l'institution d'une taxe sur les banques n'étaient pas trop impopulaires. En sens inverse, les entreprises bénéficiaient d'un certain nombre de mesures : relèvement des coefficients d'amortissement dégressif pour les matériels ; permettant une économie de matière première, extension de la réévaluation des bilans aux actifs amortissables, etc.

Priorités

Mais les pertes de recettes consenties profitaient surtout aux petits salariés et aux petits contribuables en général : indexation incomplète du barème de l'impôt sur le revenu (+ 7,5 % pour les dix premières tranches, + 6 et 5 % seulement pour les deux dernières), relèvement des limites d'exonération de 10 % (à 15 200 F de revenus, y compris pour les non-salariés), non recouvrement des impôts d'un montant inférieur à 150 F (ce qui libérait 650 000 contribuables), abattement de 5 000 F pour les personnes partant à la retraite, abattement majoré de 10 à 20 % (comme pour les salariés) pour les artisans et commerçants adhérant à un centre de gestion agréé, abattement porté de 2 000 à 3 000 F pour les dividendes d'actions, etc.

Du côté des dépenses, les personnes âgées comblaient une partie supplémentaire de leur retard (avec la fixation de la retraite minimale à 11 000 F le 1er décembre 1977, un nouveau saut étant accompli fin juin 1978 en passant à 12 000 F, soit 1 000 F par mois) ainsi que les handicapés du travail, les anciens combattants de la Seconde Guerre mondiale (alignés sur ceux de la Première), les foyers modestes (avec la création du complément familial au 1er janvier 1978).