Journal de l'année Édition 1978 1978Éd. 1978

Dès le lendemain du scrutin, le lundi 13 mars, les dirigeants de la gauche se réunissent pour proclamer leur volonté d'aboutir à un gouvernement commun, leur confiance dans la victoire. Singulières et amères retrouvailles : il est clair, en effet, que, par le jeu du découpage des circonscriptions et du report des voix, la gauche ne peut plus gagner. Et, cependant, tous les obstacles qui empêchaient depuis six mois l'accord semblent être tombés d'un seul coup : en vingt minutes, les litiges sont balayés, les exigences renversées, les injures même oubliées.

Une semaine encore de campagne tendue et acharnée, mais l'espoir a changé de camp. Et, le 19 mars, c'est le verdict : les communistes et les socialistes gagnent respectivement douze et neuf sièges, leurs partenaires radicaux en perdent trois, la gauche totalisant ainsi 200 élus. Dans la majorité, forte de 291 députés, le RPR recule ainsi que les petits partis du centre et de droite tandis que le Parti républicain et le CDS avancent. Lorsque, le 20 avril, la première épreuve véritable se déroulera au Palais-Bourbon après la déclaration de politique générale de Raymond Barre, lui-même élu à Lyon dès le premier tour (et donc après la formation de son gouvernement dans lequel sont entrés un certain nombre de députés de la majorité), le score sera de 260 voix contre 197. Une majorité confortable.

Le grand virage du régime vers la gauche, après vingt ans d'existence, ne s'est pas produit. Communistes et socialistes vont, ainsi qu'on le verra, se rejeter mutuellement la responsabilité de cet échec. On peut toutefois s'interroger, par-delà les causes immédiates — division de la gauche, action du Premier ministre, engagement personnel du chef de l'État —, sur les raisons profondes de ce résultat.

En voici trois. De toute évidence, la gauche n'a pas su inspirer confiance aux électeurs du centre, au vote flottant qui fait la décision. Ensuite, les mécanismes électoraux et institutionnels, le mode de scrutin, le découpage des circonscriptions donnent une prime considérable à la majorité sortante qui, avec moins de suffrages au premier tour — mais mieux répartis —, obtient 91 sièges de plus au second. Enfin, on peut même aller jusqu'à se demander — et certains n'y manquent pas — si, compte tenu du système et du comportement électoral des Français, la Ve République telle qu'elle fonctionne n'exclut pas l'alternance. D'un scrutin à l'autre, de l'élection présidentielle septennale à l'élection législative quinquennale, il suffit à la majorité en place de mettre en garde le pays contre un changement de cap qui déboucherait non sur un simple changement d'orientation au sommet ou de majorité parlementaire, mais sur une crise de régime, pour que le choix se fasse en faveur du statu quo.

L'heure des bilans

Les élections passées, il faut en tirer les leçons. Deux années de préparatifs et d'espoir, six mois de combats d'avant-garde, quatre semaines d'affrontements fiévreux, cela laisse des traces. La majorité est sauvée, mais il apparaît vite que le vrai vainqueur, de ce côté-là, est V. Giscard d'Estaing, et son chef d'état-major, Raymond Barre. Ce dernier avait virtuellement cessé depuis quelques mois d'exercer dans leur plénitude ses fonctions de Premier ministre : confirmé dans son poste, il forme un nouveau gouvernement, qui apporte peu de changements à l'équilibre politique de son équipe, et il reprend sur-le-champ la totalité de ses attributions. Il entreprend une politique économique et sociale de redressement, vigoureuse et même brutale, basée sur le libéralisme : son pari repose sur le desserrement des contraintes et la liberté des prix. Le rythme de l'inflation s'accroît et atteint une hausse à deux chiffres comme régime de croisière. Les mesures destinées à lutter contre le chômage qui avaient été prises en vue des élections — le pacte national de l'emploi notamment — sont en grande partie prorogées, ce qui n'empêche pas une reprise de la progression du nombre des demandeurs d'emploi.