Le rejet du stalinisme, la critique des lois et pratiques soviétiques valent au PCF une semonce de Moscou sous la forme d'une dépêche de l'agence Tass. Les communistes français n'en poursuivent pas moins leurs mises en garde, en même temps qu'ils mettent l'accent dans leur propagande, avec une insistance extrême, sur la défense des libertés. L'abandon de la notion de dictature du prolétariat, l'affirmation sans cesse réitérée que la volonté des électeurs sera scrupuleusement respectée au cas où, la gauche étant au pouvoir, elle perdrait la majorité, l'adhésion solennelle aux règles du jeu démocratique posent une fois de plus les vieilles questions : les communistes ont-ils changé ? Peut-il exister une voie française vers le socialisme ? Sur la communauté européenne, sur la force de frappe s'ébauche aussi une évolution des positions communistes que l'avenir va bientôt concrétiser.

Ses succès électoraux de novembre ont donné au parti socialiste une assurance qu'encouragent encore les sondages d'opinion, dans lesquels la gauche commence à franchir la barre des 50 %. Si François Mitterrand doit parfois compter avec son aile gauche, le CERES, et parfois aussi échanger quelques répliques un peu sèches avec ses associés communistes, son autorité s'affirme en France et à l'étranger, à l'heure même où, dans le reste de l'Europe, en Suède, aux Pays-Bas, en République fédérale, en Grande-Bretagne même, les gouvernements sociaux-démocrates sont renversés ou menacés.

La gauche aborde donc avec confiance et espoir l'échéance des élections municipales. Bien que les négociations soient parfois difficiles, des listes communes ont pu être constituées dans un certain nombre de villes. Ce n'est pas le cas toutefois à Marseille, où Gaston Defferre entend faire cavalier seul, mais l'accord s'est conclu en revanche aisément à Lille autour de Pierre Mauroy et surtout, mais difficilement, à Paris où, décidément, la bataille municipale va revêtir un éclat tout particulier.

La bataille de Paris

De cette bataille de Paris, c'est Raymond Barre qui a donné le coup d'envoi, dès le 12 novembre, en désignant un ministre républicain indépendant très proche du président de la République, Michel d'Ornano, pour conduire la campagne des candidats de la majorité dans la capitale. Il s'agit de prendre de court les gaullistes, dont le chef de file paraît alors devoir être soit Pierre-Christian Taittinger, soit Philippe de la Malène. Michel d'Ornano propose aussitôt aux autres formations de former des listes uniques. Le RPR refuse sèchement. Et, le 19 janvier, alors que le RPR et les giscardiens ont déjà commencé à faire connaître les noms de leurs candidats respectifs, Jacques Chirac marque par surprise le premier but de la partie : il annonce sa propre candidature au poste de maire de Paris, fonction restaurée après un siècle et demi par la réforme de l'organisation municipale de la capitale votée en 1975.

Des négociations confuses, rompues, puis renouées, alternent avec des défis et d'âpres rivalités entre d'ornanistes et chiraquiens. On s'arrache les centristes et les personnalités non engagées, Françoise Giroud prenant place sur une liste de M. d'Ornano, Jacqueline Nebout, secrétaire générale adjointe du parti radical, rejoignant au contraire J. Chirac. La mort subite du président sortant du Conseil de Paris, Bernard Lafay, qui est un moment apparu comme un possible candidat de compromis, achève de rendre l'affrontement inévitable. M. d'Ornano décide de faire acte de candidature dans un secteur où la gauche l'a emporté en 1965 et 1971, le XVIIIe arrondissement. J. Chirac de son côté a choisi le Quartier latin, fief d'un gaulliste, Jean Tibéri, solidement implanté dans le Ve arrondissement.

L'union de la gauche, en revanche, a réussi, non sans difficulté, à mettre sur pied des listes communes où figurent les trois partis associés, communistes, socialistes et radicaux de gauche, ainsi que des gaullistes d'opposition et des candidats indépendants. Ses chefs de file, Georges Sarre pour le PS et Henri Fiszbin pour le PC, n'ont guère d'espoir de conquérir la capitale, désertée d'année en année par une fraction de l'électorat populaire. Il leur faut compter par surcroît avec le foisonnement de listes d'extrême gauche, avec celles que patronne Michel Jobert et, surtout, avec l'apparition des listes écologistes, accueillies avec scepticisme mais qui font néanmoins une campagne mordante.