Cependant, l'un des traits marquants de ces dernières années est la virtuosité et la technique graphique de plus en plus élaborées dans des recherches de plus en plus originales.

Formellement, les dessinateurs s'affranchissent des contraintes des vignettes bien délimitées, sagement alignées de gauche à droite en bandes parallèles. Des créateurs comme Fred ou Druillet conçoivent la page comme une surface à utiliser dans son ensemble, et non plus comme constituée d'une succession de cases. Des scènes peuvent ainsi s'entremêler, se fondre, se contrecarrer, forçant parfois le lecteur à un effort de compréhension qui participe au plaisir de la lecture.

L'esprit d'invention et les qualités d'imagination du créateur deviennent alors essentiels ; il ne s'agit plus d'utiliser des recettes éprouvées, mais d'essayer des voies nouvelles, qui mènent parfois à des impasses.

Dans ce renouvellement stylistique, l'influence du cinéma a été primordiale ; les créateurs arrivent à reproduire graphiquement : travellings inserts, gros plans, etc. « Nous sommes tous des petits enfants du cinéma », déclare Pierre Christin, scénariste de Valérian. Hugo Pratt, dessinateur italien bien connu en France par son remarquable Corto Maltese, précise : « Le cinéma m'a incité à reproduire les actions vues sur l'écran, sur le papier. »

La vignette est conçue comme un plan cinématographique et la couleur comme élément constitutif du récit : « Je construis mes bandes comme un metteur en scène. La seule chose qui nous manque, c'est l'impact du son, que nous tentons de suppléer par une puissance plus forte de l'image » (Philippe Druillet). L'utilisation de la couleur a aussi fait l'objet de réflexions et de recherches. Et certains créateurs conçoivent leurs séries uniquement en fonction des possibilités de contraste et de tension des éléments colorés. La couleur est considérée de plus en plus comme essentielle à la dramatisation du récit.

Fantastique

Aux éléments stylistiques s'ajoutent des influences thématiques. Le western contemporain, de Sergio Leone à Sydney Pollack et Robert Altman, inspire Jean Giraud (Lieutenant Blueberry), Derib (Buddy Longway), Hermann (Comanche), Palacios (Mac Coy).

Les libertés prises à l'encontre des règles formelles implicites de la BD se sont accompagnées d'un renouvellement important des scénarios. Le fantastique et la science-fiction continuent de dominer la production actuelle.

Longtemps ces deux genres n'ont été admis qu'à partir de postulats scientifiques qui se voulaient vraisemblables sinon sérieux (Blake et Mortimer d'E.P. Jacobs). Le choc de 1968 s'est fait à la fois révélateur et acteur pour donner une autre dimension aux personnages de Druillet (Lone Sloane), Tardi (et son extraordinaire Démon des glaces), Christin et Mézières (Valérian). La libération des imaginations va de pair avec une angoisse sourde et une réflexion désabusée ou revendicatrice sur le pouvoir politique des sociétés contemporaines (les Mangebitume de Lob et Bielsa, la remarquable Croisière des oubliés de Christin et Bilal).

Auclair décrit avec talent un monde d'après la Bombe où l'humanité tente de se réorganiser entre les souvenirs d'une époque disparue et les tensions d'une survie difficile (Jason Muller, Simon du fleuve).

La revue Métal hurlant constitue le plus achevé des magazines du genre grâce aux personnalités de Moebius (alias Jean Giraud, un des plus doués et des plus prolifiques dessinateurs français actuels), de l'Américain Corben, de J.-C. Gal (les fascinantes Armées du conquérant) et de J.-P. Dionnet, l'un des deux ou trois meilleurs scénaristes contemporains.

De même, l'imagination est au pouvoir dans l'humour, où dominent l'absurde, le non sense, voire la poésie dans des séries illustrées par Greg (Achille Talon), Gotlib, Mandryka (Le concombre masqué), Fred (Philémon), Francis Masse et F'Murr (Le génie des alpages, l'une des créations les plus drôles et les plus délirantes). Le succès des Peanuts témoigne à la fois de cette nouvelle réceptivité et sensibilité du public à des formes de comique qui, pour venir des pays anglo-saxons, ne s'en sont pas moins fort bien adaptées chez nous.

Phantasmes

La sexualité et l'étalement de tous les phantasmes sont aussi partie intégrante de ces nouvelles inspirations, ce qui implique la naissance de revues pour adultes et non plus seulement pour la jeunesse. Certains lancent alors leurs propres publications. À l'Écho des savanes (1972) succèdent Mormoil, Fluide glacial, Métal hurlant, Tousse Bourin.