La querelle se serait sûrement mal terminée si l'évolution des cours mondiaux des grandes denrées (sucre, blé) et les perspectives de pénurie alimentaire mondiale, étalées au grand jour lors de la Conférence des Nations unies à Rome (5-16 novembre 1974), n'avaient pas montré l'intérêt de maintenir le potentiel de production de l'agriculture européenne.

La révolte des viticulteurs du Midi bloquant les importations de vin italien, celle des marins pêcheurs bloquant les ports contre les entrées de poissons étrangers ont montré le caractère trop libéral des règles qui ont présidé à l'organisation du Marché commun du vin et du poisson. En outre, dès que les revenus des producteurs sont en cause, les réflexes protectionnistes ne manquent pas de se développer. Faute de progresser l'acquis communautaire lui-même est en danger.

Échec

Contrainte de se battre pour défendre cet acquis, la Communauté allait-elle marquer une avancée en affirmant une voie originale dans la grande confrontation internationale sur l'énergie ? Sans doute, le projet de Conférence mondiale restreinte sur l'énergie est-il d'abord un projet de Valéry Giscard d'Estaing. Mais les Neuf y sont également mêlés dès le départ. Avant de rencontrer Gerald Ford à la Martinique, Giscard a mis ses partenaires dans la confidence au cours du sommet des Neuf qui précède la rencontre franco-américaine. L'Europe avait même décidé de parler d'une seule voix à la réunion préparatoire de Paris à la mi-avril. Malheureusement, avec le désaccord de ses membres, elle s'est tue. L'impasse dans laquelle s'est enfoncée cette conférence est un échec à la fois pour Giscard et pour l'Europe dans la mesure où elle a démontré son impuissance.

Succès

Le dialogue avec le tiers monde n'est pas compromis pour autant, et les propos sur le nouvel ordre économique mondial à construire tenus par Giscard et Boumediene au moment de l'échec de la Conférence préparatoire sur l'énergie le montrent bien. La Communauté européenne est tout à fait prête à comprendre qu'il ne faut pas dissocier le problème de prix des matières premières de celui du développement et qu'un accord est possible entre producteurs et consommateurs. Elle l'est d'autant plus qu'à son initiative un accord de cette nature a pu être conclu à Bruxelles et signé à Lomé le 28 février 1975 entre les 9 pays de la CEE et 46 pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique. Cet accord concerne 500 millions de personnes (240 millions d'Européens et 268 millions de personnes dans les pays partenaires). Il est exemplaire car il assure non seulement une aide financière des pays mieux industrialisés à des pays en voie de développement (4 milliards de dollars en cinq ans), mais aussi un accès privilégié et sans contrepartie aux exportations de ces pays pauvres. Il organise surtout une garantie des revenus en cas de baisse des recettes que ces pays pauvres tirent de l'exportation des produits de base, souvent leur seule ressource (une douzaine de produits sont concernés par ces accords, depuis le cacao jusqu'au coton, en passant par le café, les bananes, le cuivre, les oléagineux, le bois, le minerai de fer, etc.). Autre disposition : une coopération industrielle tendant à mieux répartir le travail au profit des 46 pays signataires sera mise en œuvre. L'accord prévoit encore l'achat annuel par les Neuf de 1,4 million de tonnes de sucre à un prix qui, quel que soit l'état du marché, sera au moins égal à celui qui est garanti aux producteurs européens.

Un accord commercial créant une zone de libre-échange entre Israël et la CEE est signé à Bruxelles, le 11 mai, entre Ygal Allon, ministre israélien des Affaires étrangères, Garret Fitzgerald, président du Conseil européen, et François-Xavier Ortoli, président de la Commission européenne. Ce nouvel accord (il remplace celui qui avait été signé en 1970 avec les Six) entrera en vigueur le 1er juillet. Il provoque un vif mécontentement dans les pays arabes au moment de la réouverture du dialogue euro-arabe qui s'engage le 10 juin au Caire. Mais le président Fitzgerald donne satisfaction aux pays arabes en déclarant que l'accord commercial avec Israël ne s'appliquera pas aux territoires occupés.

Ainsi, dans une année dure pour la Communauté européenne, il y a quand même eu une percée européenne ; et précisément dans le domaine des rapports avec le tiers monde dont tout indique qu'ils domineront l'économie mondiale dans la prochaine décennie.