Et les bons films sont toujours passionnément attendus par des spectateurs qui n'hésitent pas plus aujourd'hui qu'hier à faire la queue pour voir ce qu'il faut avoir vu.

Ce qu'il faut avoir vu, c'est Emmanuelle. Largement en tête des entrées, ce film, pourtant médiocre mais luxueusement présenté, du jeune réalisateur Just Jaeckin, jusqu'alors photographe de mode, a sans doute bénéficié de l'aura de scandale qui s'attache encore au souvenir du livre dont il s'inspire. Son triomphe commercial a sans doute contribué au recul de la censure. Il donne aussi un regain d'espoir à tous ceux qui, dans la profession, misent sur l'érotisme. Désormais sorti du ghetto des salles spécialisées, le cinéma érotique a pignon sur rue aux Champs-Élysées. Il attire 16 % du public des salles obscures avec 128 films (sur les 606 qui sont mis à l'affiche) en 1974. Un raz de marée qui émeut plus d'un observateur, mais qui demeure marginal. Le vrai cinéma est ailleurs ; il reste riche, vigoureux, et d'inspiration toujours plus variée.

France

Mis à part Emmanuelle et son succès douteux, c'est un film grand public, commercial mais pétri de qualités, qui obtient les faveurs du spectateur, finalement plus exigeant qu'on ne le dit parfois : La gifle, de Claude Pinoteau, raconte avec humour et tendresse, sur des dialogues de Jean-Loup Dabadie, les relations d'un père (Lino Ventura) et de sa fille adolescente. Allègre et plaisant, le film doit beaucoup à la fraîche drôlerie d'Isabelle Adjani, transfuge de la Comédie-Française, et que le cinéma, désormais, va sans nul doute accaparer. Dans la même veine, Vincent, François, Paul et les autres, de Claude Sautet, brosse avec beaucoup de justesse et de sensibilité le tableau d'un groupe d'amis à la quarantaine ratée.

Trois vedettes, Yves Montand, Michel Piccoli, Serge Reggiani, et le jeune Gérard Depardieu, révélé dans Les valseuses, qui devient un acteur de tout premier plan ; un thème psychologique, là encore très contemporain. Une incontestable réussite du cinéma français.

Détente

Si le public aime se reconnaître à l'écran, il apprécie toujours de s'y détendre. C'est là que l'on retrouve Claude Zidi, auteur doublement heureux cette année de La moutarde me monte au nez, avec Jane Birkin, et de nouveaux exploits des Bidasses désormais célèbres qui, cette fois, s'en vont en guerre. On retrouve aussi Yves Robert, dont Le retour du grand blond paraît un peu pâlot par rapport au premier Grand blond.

Le film policier est toujours présent. En vedette, Alain Delon, héros tout à la fois des Seins de glace de Georges Lautner, avec Mireille Darc et surtout Claude Brasseur, décidément grand comédien, et de Borsalino and Co, une coûteuse coproduction (franco-italo-allemande) où Jacques Deray, peut-être nostalgique d'un Belmondo absent, n'a pas retrouvé le brio du premier Borsalino. J.-P. Belmondo, en revanche, tel qu'en lui-même ses exploits sportifs le conservent, est la vedette du nouveau film d'Henri Verneuil Peur sur la ville, où il incarne (une fois n'est pas coutume) un policier, mais très anticonformiste.

Violence

Le climat angoissant que font peser sur notre vie de tous les jours le développement du gangstérisme et l'escalade de la violence tient d'ailleurs une place de choix dans le cinéma français d'aujourd'hui. Ainsi, dans L'agression, film équivoque de Gérard Pires, associé à l'auteur de série noire Jean-Pierre Manchette, où l'on découvre, aux côtés de Jean-Louis Trintignant une Catherine Deneuve insolite et un Claude Brasseur toujours excellent. Traqueur ici, Trintignant (encore lui) est traqué dans Le secret, de Robert Enrico, par une mystérieuse et sans doute très officielle puissance.

Plus théâtrale, plus rétro, l'adaptation tirée de La chair de l'orchidée, par Patrice Chéreau, metteur en scène de théâtre qui fait ses premiers pas au cinéma avec maîtrise mais trop d'emphase, n'a pas tenu ses promesses malgré la présence de Charlotte Rampling et de l'inquiétant François Simon.

Violence encore, sordide cette fois, dans l'un des films les plus marquants de l'année, L'important c'est d'aimer, d'André Zulawski. Un film vénéneux et superbe, que l'on rejette ou que l'on adore, centré autour d'un personnage de comédienne ratée qu'interprète admirablement Romy Schneider, épouse dans le film d'un étonnant et pathétique Jacques Dutronc. Violence enfin, mais cette fois raciste, dans le film d'Yves Boisset Dupont Lajoie, qui démontre comment Monsieur Français-Moyen, remarquablement incarné par Jean Carmet, peut devenir le plus enragé des meneurs de ratonnades.

Engagés

Les grands problèmes politiques et sociaux sont, dit-on, rarement traités par le cinéma français. Cette année pourtant, outre Boisset, Costa-Gavras a posé dans Section spéciale, inspiré d'un épisode réel de l'histoire de Vichy, le problème des rapports de la justice et du pouvoir au nom de la raison d'État. Film controversé, sans doute trop schématique, film courageux cependant. L'époque noire de l'Occupation a également inspiré le film grave et beau de Michel Mitrani, Les guichets du Louvre, injustement boudé par le public, et La brigade de René Gilson, qui fait revivre un épisode de la Résistance. Enfin, le document de Marc Hillel et Clarissa Henry, Au nom de la race, rappelle à tous ceux qui pourraient encore dire « Hitler, connais pas », les atrocités commises par les nazis pour purifier les populations. Sur un point d'histoire plus ancien, mais traitant du même problème de l'antisémitisme, un film-dossier de Jean Chérasse sur Dreyfus, bien que décevant, suscite d'utiles débats.