Pour la plupart des commissaires-priseurs, à Paris, en province comme à l'étranger, l'automne 1974 est la pire des saisons depuis de longues années. Les prix de réserve exigés par ceux qui ont acheté à la hausse sont tels que les maîtres priseurs sont obligés de reprendre la marchandise sur enchères fictives pour la restituer aux vendeurs. Dans certaines ventes, plus de la moitié des lots sont ravalés (un terme que les gens de métier n'emploient qu'avec un certain dégoût).

L'inquiétude économique, le malaise social, l'absence d'acheteurs étrangers, la menace d'une taxation sur les plus-values alourdissent péniblement le marché de l'art.

Le recul général des cotes en fin d'année n'apparaît pas dans le chiffre faussement rassurant de 22 % de hausse pour l'ensemble de 1974. (De même pour le groupe Sotheby, qui annonce 24 % de hausse avec un chiffre d'affaires de 90 millions de livres pour Londres, New York, Los Angeles et Zurich.) À ces difficultés s'ajoutent, en France, les coûteux effets de la longue grève des postiers, qui a limité la distribution des catalogues, privant ainsi les salles des ventes d'une partie de leur clientèle.

La récession se fait surtout sentir pour les tableaux anciens et modernes et pour les meubles et objets de qualité courante. À Londres comme à Paris, des toiles impressionnistes et des œuvres de l'école de Paris sont reprises parfois à la moitié de leur prix d'estimation.

À partir de fin décembre 1974, une légère reprise se fait sentir, bientôt confirmée par de meilleurs résultats en janvier 1975. La raréfaction de la marchandise disponible provoque de nouveaux désirs d'achat, d'autant plus que des pièces intéressantes deviennent accessibles à des prix raisonnables (bijoux, argenterie, pierres dures, œuvres d'Extrême-Orient, monnaies anciennes et meubles classiques de qualité). Enfin, quelques acheteurs des pays arabes stimulent la relance tandis que les réserves de pouvoir d'achat accumulées pendant la période de rétention se libèrent progressivement.

La crise, semble-t-il, a assaini le marché de l'art en écartant les spéculateurs à court terme, mais, du même coup, les acheteurs se montrent plus sélectifs. En avril 1975, la confiance revient, et les ventes de fin de saison sont moins mauvaises. Les exigences des amateurs vont désormais aux meubles et objets d'art de la plus haute qualité ; la marchandise moyenne se stabilise, avec une légère tendance à la hausse qui compense l'érosion monétaire.

Avec le recul, 1974 apparaît comme une année de transition, allant de la surchauffe à la stagnation après une brusque récession ; 1975, par contre, se présente comme une année de normalisation et de retour à l'équilibre.

Les tendances

Les tendances les plus affirmées vont, en 1975, à l'argenterie et aux objets précieux, aux œuvres d'Extrême-Orient, aux arts primitifs africains et précolombiens, aux dessins anciens, aux curiosités scientifiques, aux livres, aux autographes et aux monnaies anciennes ainsi qu'aux objets d'art populaire. Pour les meubles, le goût des amateurs se porte sur les bonnes pièces xixe qui poursuivent leur remontée (par exemple : meubles Charles X en bois clair, meubles d'ébénisterie Napoléon III), sur les petits meubles de salon, sur les armoires, buffets et vaisseliers régionaux (des armoires normandes de mariage dépassent 15 000 F, soit un prix qui a doublé en deux ans). Les sièges courants, les tapisseries, les tapis, les étains marquent le pas. Pour les œuvres plastiques, les tableaux pointillistes et cubistes, les surréalistes, les paysagistes de l'école de Barbizon, les naïfs, les pompiers obtiennent les meilleures cotes. Les œuvres de l'école de Paris, les abstraits, les hyperréalistes sont en léger recul. Les meubles, objets, œuvres des années 1925-1930 n'obtiennent de bons prix que pour la grande qualité. Dans tous les domaines, les achats sont de plus en plus sélectifs, en vue d'investissements à long terme.

Tableaux et dessins anciens

À Londres, en juillet 1974, un tableau de Jordaens n'obtient que 7 500 livres (80 000 F) ; un Pieter Brueghel, 35 000 livres (400 000 F) contre 90 000 livres quatre mois plus tôt. Un vent de panique se met alors à souffler dans toutes les salles de ventes. Le mouvement de baisse se confirme à l'automne, à Londres, New York et Paris ; mais, dès la fin de l'année, les enchères se reportent sur les plus grands noms de la peinture ancienne.