Cependant, le 12 octobre, les responsables égyptiens paraissent décidés à relancer l'offensive, peut-être sous la pression de leurs alliés syriens, qui souhaitent desserrer l'étau des forces israéliennes concentrées sur le Golan. Les 12 et 13 octobre, des chars, par centaines, franchissent le canal pour s'aligner sur la rive orientale. Le lendemain, une attaque générale est déclenchée. La bataille de chars la plus massive de l'histoire militaire se solde, le jour même, par la défaite des Égyptiens. La situation paraît propice aux stratèges de l'État juif pour lancer une contre-offensive dont l'audace et l'habileté surprendront nombre d'observateurs.

L'opération Déversoir (du nom d'un point à l'extrémité nord du grand lac Amer, qui relie le canal au golfe de Suez) est mise au point le 15 octobre. À 17 heures, ce jour-là, des unités commandées par le général Sharon établissent une tête de pont sur le canal, de quatre kilomètres de large, et foncent vers l'intérieur de la rive occidentale. La riposte de l'aviation et de l'artillerie égyptiennes empêche cependant le général Sharon d'installer le pont amovible qui allait permettre à la division du général Bren de franchir à son tour la voie d'eau. Il faudra une quarantaine d'heures supplémentaires de furieux combats pour rouvrir la brèche.

IIIe armée

À partir du 18 octobre, deux colonnes israéliennes avancent en territoire égyptien, l'une (celle du général Bren) en direction de la ville de Suez, l'autre (dirigée par le général Sharon) vers Ismaïlia. Aucune des deux ne réussit à atteindre son principal objectif, puisque le cessez-le-feu intervient le 22 octobre, avant que le général Bren ne parvienne à détruire, sur la rive orientale, la IIIe armée égyptienne, coupée de ses bases de ravitaillement et que le général Sharon ait pu atteindre Ismaïlia. Malgré tout, l'opération Déversoir aura permis de modifier le cours de la guerre qui, à ses débuts, paraissait devoir se solder en faveur de l'Égypte.

Peut-on considérer pour autant qu'elle a été gagnée par Israël ? On pourrait répondre par l'affirmative si l'on devait juger uniquement par les résultats acquis sur le terrain. Sur le front du Golan, l'armée juive a pu non seulement reprendre le Golan, mais aussi avancer sur la route Kouneitra-Damas, pour atteindre un point distant d'une quarantaine de kilomètres de la capitale syrienne. Sur le front du Sinaï, la percée sur le canal lui a permis d'occuper une « poche » d'environ 1 200 kilomètres carrés sur la rive occidentale.

Solidarité

Ces succès ont coûté très cher à l'État juif : 2 521 tués et blessés ; proportionnellement à l'échelle de la population des États-Unis, les pertes israéliennes ont été, en dix-huit jours, six fois plus élevées que celles de l'armée américaine au Viêt-nam en huit ans. Plus important encore, Tsahal (pour la première fois de son histoire) n'a pas remporté une victoire décisive, pas plus qu'elle n'a pu obtenir la reddition des armées arabes. « Israël, devait déclarer Henry Kissinger, a remporté une victoire tactique, mais a perdu la guerre stratégiquement. » Le secrétaire d'État américain faisait sans doute allusion au rapport des forces internationales défavorable à l'État juif, qui a déterminé davantage l'issue de la guerre que la supériorité d'Israël sur les champs de bataille.

L'un des événements marquants de la guerre d'octobre, et qui n'a pas manqué de surprendre nombre d'observateurs, fut l'étendue et la vigueur de la solidarité panarabe qui s'est manifestée en faveur de l'Égypte et de la Syrie. Contrairement à ce qui s'est passé lors de la guerre de Six Jours, en juin 1967, cette solidarité a pris des formes concrètes dans tous les domaines : diplomatique, politique, économique, financier et militaire. Le Maroc, l'Arabie Saoudite, l'Irak et la Jordanie ont dépêché des troupes en Syrie ; l'Irak à lui seul a envoyé quelque 30 000 hommes, 250 chars et une cinquantaine de chasseurs bombardiers ; l'Algérie, la Tunisie, la Libye, le Soudan, le Koweït ont, pour leur part, mis à la disposition de l'Égypte des unités d'élite et de l'armement, parfois même des bases logistiques sur leur territoire respectif.