Le conflit militaire du Proche-Orient prend une nouvelle tournure quand les puissances arabes décident d'user de l'arme du pétrole, de réduire leurs exportations et de relever de 17 % les prix a la production. Le système économique occidental reposant sur une énergie à bon marché, l'effet ne se fait pas attendre. Les bourses mondiales s'effondrent, y compris Paris, dont l'indice chute presque sans interruption pour s'établir, le 10 décembre, à 78,8. Le recul est de 19 % en deux mois. Par rapport aux sommets de mai, il atteint 27 %.

Si elle ne souffre que de rares exceptions, comme les maisons de champagne pour ne pas parler du cas particulier de l'obligation indexée de la Caisse nationale de l'énergie, la baisse revêt une ampleur exceptionnelle sur les secteurs les plus touchés, les grands consommateurs d'énergie, l'industrie automobile et ses dérivés.

La France échappe au rationnement, roule encore le dimanche en voiture, mais voit les vitesses plafonnées, puis le prix de l'essence rapidement relevé.

Cela explique la violence de la baisse de ces derniers mois de 1973. Cela explique que Michelin, la première valeur française pour l'importance de sa capitalisation boursière, ait pu baisser de 2 400 francs à moins de 1 000 francs, et cela d'autant plus aisément que les grosses cylindrées de sa filiale Citroën n'étaient pas réputées se vendre aisément.

Ces difficultés conduiront, quelques mois plus tard, à poser le principe d'une alliance avec Peugeot.

L'embargo sera progressivement levé, les prix du pétrole brut plusieurs fois remaniés, mais la crise pétrolière aura profondément marqué les esprits et les économies. La première conséquence est une révision des politiques énergétiques nationales et une accélération brutale du programme nucléaire français avec ses retombées positives sur les deux grands groupes que sont la Compagnie générale d'électricité et Schneider. La Bourse joue donc le nucléaire. Si la CGE, trop importante, ne réagit guère, si sa filiale Alsthom, handicapée par de très mauvais résultats, n'est pas plus favorisée, Schneider bénéficie d'achats suivis et plus encore Creusot-Loire, sa filiale commune avec le groupe Marine.

Tribunaux

Les relations Schneider-Marine se trouvent d'ailleurs perturbées, non au niveau de leur action commune en Creusot-Loire, mais au niveau de Marine elle-même. Le titre est, en octobre, l'objet d'achats pressants qui inquiètent Schneider dans la mesure où le capital de son associé n'est pas contrôlé. Craignant un coup de force et l'intrusion d'un tiers qu'il n'identifie pas, le groupe Schneider réagit en achetant à son tour les actions Marine qui se présentent, à commencer par celles de M. Akesson, récent acquéreur à titre personnel de quelque 4 % de Marine. La participation de Schneider est rapidement portée aux 34 % qui constituent la classique minorité de blocage. Jugeant cette action contraire à l'association des deux groupes, les dirigeants de Marine protestent et, en l'absence de conciliation possible, portent l'affaire devant les tribunaux. Elle y restera longtemps.

Ce n'est pas le seul conflit d'intérêts que connaîtra la Bourse au cours d'une année encore fertile en grandes manœuvres. Leurs issues sont d'ailleurs inégales. La situation se bloque ainsi chez Lesieur où le groupe Navigation Mixte-Unipol acquiert plus de 40 % du capital face à l'alliance majoritaire de la famille Lesieur et de la BNP, tandis que la spéculation porte un moment les cours à des niveaux inespérés. La Compagnie La Hénin a la main plus heureuse en faisant une offre publique d'échange (OPE) aux actionnaires des Salins du Midi, offre qui coupe court aux visées de Piper-Heidsieck et réussit. Il n'en est pas de même de l'OPE faite par Moët-Hennessy aux actionnaires de Pommery et Greno, dont les dirigeants, assurés du contrôle de l'affaire, réagissent brutalement en concluant une alliance défensive avec Rémy Martin. D'autres offres connaîtront un déroulement plus serein : celle d'Exxon sur sa filiale Esso-Chimie, celle de Fougerolle sur la Chimique de la Route.

Regroupements

Les grandes alliances elles-mêmes se poursuivent à un rythme qui, pour n'être pas celui des années 1960, reste appréciable : au niveau bancaire tout d'abord, avec l'entrée de la banque de Neuflize, Schlumberger, Mallet dans le groupe de La Paternelle, le regroupement de la Sovac et d'Eurafrance, la fusion du Crédit du Nord et de la BUP sous l'égide de Paribas, l'absorption de la Banque de l'Indochine par la Compagnie financière de Suez ; dans le secteur alimentaire ensuite, où Beghin fusionne enfin avec Say, et l'Union sucrière de l'Aisne avec Bouchon et Pajot, tandis que l'Aliment essentiel prend le contrôle de la Société générale de panification (Pelletier, Prior) et les Comptoirs modernes celui d'Amiot ; ailleurs enfin, qu'il s'agisse de la machine-outil (Ratier Forest-GSP), de l'immobilier (Financière Haussmann-Glacières de Paris), du Nickel (Aquitaine-Le Nickel) ou de la construction, où Dumont et Besson s'accorde avec Ferodo tandis que Bouygues reprend la gestion de la Compagnie française d'entreprises.