Car l'événement important de l'année demeure la disparition du chef du gouvernement espagnol, tué en plein Madrid. À peine six mois auparavant (en juin 1972), l'amiral, considéré depuis toujours comme l'éminence grise de Franco, avait prêté serment devant le Caudillo comme Premier ministre. Il constituait la clef de voûte de l'édifice du dispositif mis au point par le vieux chef d'État pour assurer sa succession et celle du régime.

Le 20 décembre 1973 donc, à 9 h 45, l'amiral Carrero Blanco, qui venait comme chaque matin d'assister à un office religieux, se rendait à son bureau, lorsque, passant dans la rue Claudio Coello, dans le quartier de Salamanque, une bombe explosa sous sa voiture, qui fut projetée à une quinzaine de mètres de hauteur avant de retomber dans la cour d'un immeuble.

Au milieu de l'émotion provoquée par la mort du dauphin de Franco, l'organisation basque ETA (Patrie basque et liberté) publiait un communiqué revendiquant l'attentat. Ce défi prenait une signification particulière du fait qu'au moment de l'assassinat de l'amiral s'ouvrait, devant le tribunal de l'ordre public de Madrid, le procès de dix dirigeants des Commissions ouvrières (syndicats libres interdits).

Mais, davantage peut-être que l'attentat, l'habileté et la détermination de ses auteurs frappèrent d'inquiétude une population persuadée depuis toujours de l'immunité du régime et de ses dirigeants. Aussi les obsèques de l'amiral, célébrées le lendemain, donnèrent-elles lieu à une spectaculaire manifestation franquiste avec saluts fascistes, hymne phalangiste et injures à l'égard du clergé.

Répression

Quelques jours après, quatre membres de l'ETA, coiffés de cagoules, faisaient connaître, au cours d'une conférence de presse organisée dans les environs de Bordeaux, comment ils avaient préparé l'attentat. Ce nouveau défi, lancé du sol français, devait conduire le gouvernement espagnol à exprimer son « profond mécontentement ».

On se demandait cependant comment ce dernier allait réagir. Carlos Arias Navarro, ministre de l'Intérieur, qui avait été désigné pour succéder à Carrero Blanco, évita la répression généralisée. Mais les lourdes peines qui, le 29 décembre, frappèrent les militants des Commissions ouvrières (vingt ans de prison pour Marcelino Camacho) indiquaient assez que l'heure n'était pas à l'indulgence. Cette intransigeance devait encore apparaître le 9 janvier, à Barcelone, où un conseil de guerre condamnait à mort Salvador Puig Antich, un militant libertaire de vingt-six ans, accusé d'avoir tué un policier au cours d'une bagarre en septembre 1972.

En dépit des pétitions adressées à Franco et des manifestations organisées un peu partout dans le monde pour obtenir la grâce de l'anarchiste catalan, celui-ci fut exécuté le 3 mars par garrot vil.

En dehors de ces cas limites, la répression continue à s'exercer d'une manière régulière. Outre les militants ouvriers, les victimes les plus habituelles sont les nationalistes basques et catalans. Ainsi, le 28 octobre 1973, 113 personnes étaient arrêtées dans une église de Barcelone où elles préparaient la deuxième assemblée démocratique de Catalogne. Certaines d'entre elles auraient été torturées.

Si, dès le 6 juillet 1973, cinq Basques, responsables de l'enlèvement d'un industriel, étaient condamnés à trente ans de prison, quatre autres militants, appartenant au front militaire de l'ETA, se voyaient infliger, le 2 avril, de lourdes peines de réclusion.

Clergé

Une nouveauté toutefois : le clergé va particulièrement subir les rigueurs du régime. Arrestations de prêtres au Pays basque, qui sont internés dans la prison concordataire de Zamora (certains d'entre eux vont entamer une grève de la faim), procès en diffamation contre l'évêque de Ségovie, menace de suppression des subventions du clergé, injures de la part des éléments d'extrême droite, la crise va atteindre son point culminant avec l'affaire de l'évêque de Bilbao.

Mgr Anoveros avait défendu « les droits du peuple basque » dans une homélie, lue dans son diocèse le 24 février 1974. Dès le 27, il était assigné à résidence et, le 3 mars, le gouvernement tentait de l'expulser d'Espagne, en raison de son attitude « contre l'unité nationale espagnole ». La protestation des évêques et l'intervention discrète du Vatican ont incité les autorités à renoncer à leur projet.