Chaque gouvernement reste libre d'agir à sa guise. E. Heath bloque les prix en novembre, Giscard d'Estaing lance le plan anti-inflation en décembre (freinage de la croissance des crédits bancaires à l'économie, TVA abaissée, lancement d'un emprunt d'État de 7 milliards) ; W. Brandt réévalue le mark de 3 % en mars, puis de 5,5 % le 29 juin, taxe les investissements et les gros revenus, taille dans les dépenses publiques. Mais, lorsque en juin, les Occidentaux font le point à l'OCDE, ils constatent que l'inflation est plus vigoureuse que jamais et qu'il en ira ainsi tout au long de 1973.

V. Giscard d'Estaing plaide qu'il a suivi les recommandations de Luxembourg. Mais la Commission des comptes de la nation a dû réévaluer ses prévisions en fonction de la hausse des prix. Aux États-Unis aussi, la hausse des prix repart de plus belle depuis le début de l'année, et Nixon annonce à la mi-juin qu'il revient au blocage auquel il avait renoncé quelques mois plus tôt.

L'inflation s'envole, l'Europe spatiale, elle, reste clouée au sol.

Parallélisme

Bloquée également : la création d'un fonds de développement régional ; bien que les Neuf se soient donnés jusqu'au 31 décembre 1973 pour le mettre en place, les choses se présentent mal. Les Anglais, pourtant nouveaux venus dans la Communauté, sont très demandeurs, trop sans doute aux yeux des Français. Ceux-ci s'étonnent de voir les Britanniques se plaindre de la charge que représentent dans leur pays les aides accordées à leurs régions déshéritées, alors qu'en même temps on les voit dépenser beaucoup pour investir sur le continent.

À propos de cette affaire, les Neuf se sont en outre enfermés dans la querelle du parallélisme. Il doit y avoir progrès parallèle, sont-ils convenus, dans les différents domaines de l'union économique et monétaire. La formule peut permettre de progresser sur plusieurs terrains ; elle peut également provoquer tous les blocages. C'est ce qui se passe avec la politique régionale où la France traîne les pieds tant que la Grande-Bretagne, qui laisse flotter la livre, ne revient pas à l'orthodoxie monétaire. Ce qui n'empêche pas les bons sentiments entre G. Pompidou et E. Heath !

Et puis, chaque fois qu'il est question d'abandonner une parcelle de pouvoir à une instance européenne, comme ce sera le cas avec le Fonds de développement régional, les États se font tirer l'oreille, Paris en tête.

Les gouvernements ne sont pas les seuls à manifester leur prévention quand il s'agit de céder du terrain autour du tapis vert. On a pu le voir à propos de la consultation des partenaires sociaux, préalable à la mise sur pied d'un programme communautaire d'action sociale. Les syndicats ouvriers, réunis au sein de la Confédération européenne des syndicats (CES), se sont opposés à la participation des syndicats de cadres à la conférence sociale préparatoire à ce programme. Motif : les organisations de cadres (notamment allemands) pactisent avec les patrons.

Nixon Round

Mais, avant tout, la grande échéance qui mobilise les milieux politiques de la Communauté est l'ouverture, pour l'automne 1973, de la négociation commerciale mondiale dite du Nixon Round. L'initiative de cette négociation revient aux Américains. Elle s'inscrit dans la ligne du Kennedy Round, qui avait abouti en 1964 à une réduction moyenne de 35 % des droits de douane sur les produits industriels. Le Nixon Round est beaucoup plus ambitieux : réexaminer l'ensemble des relations économiques internationales, y compris les échanges de produits agricoles et de matières premières ; inclure les problèmes des pays en voie de développement. La Communauté européenne accepte, un peu vite, d'y souscrire le 4 février 1972 : « Présenté comme s'inscrivant logiquement dans la ligne d'une politique commerciale et universaliste, il apparaît, en fait, comme essentiellement pragmatique et tendant à briser partout, sous toutes les formes où elle serait susceptible de s'affirmer, une concurrence jugée préjudiciable aux intérêts américains. » Tel est du moins l'avis du Conseil économique et social français, exprimé le 9 mai 1973 sur le rapport de Jacques Ferry, président de la Sidérurgie française, et Gabriel Ventejol, l'économiste de Force ouvrière. Aux yeux de Ferry et Ventejol, l'intention déclarée du gouvernement américain est de parvenir, sous le couvert de cette négociation, à un rééquilibrage positif de la balance commerciale des États-Unis, considéré comme un facteur déterminant de la résorption du déficit de leur balance des paiements. Dès lors, la négociation apparaît ambiguë quant à ses objectifs aux yeux des Neuf et des Français particulièrement.

Intransigeance

À la quasi-unanimité (les 14 représentants de la CGT-seuls, votant contre), le Conseil économique demande au gouvernement français et à la Communauté européenne de faire preuve d'« intransigeance ». L'Europe, estime-t-il, doit se protéger éventuellement devant toute nouvelle dévaluation du dollar. Elle doit riposter point par point à toute mesure protectrice qui serait prise par les États-Unis dans le cadre de leur Trade Bill.