Finis les jeans usés et l'attitude désabusée de Bob Dylan, le rock décadent s'ouvre au goût bien anglo-saxon du travesti. À l'époque où les homosexuels réclament le droit de ne plus avoir honte, l'on s'y maquille l'œil et l'on s'y teint les cheveux dans un climat très Orange mécanique.

Les noms les plus en vue ? L'Américain Alice Cooper (décembre 1972, à l'Olympia) apparaît vêtu d'un collant soigneusement ajouré, un boa véritable autour du cou, et mime une pendaison sur scène ; toute une culture à base de comics et de télévision. Plus subtils, l'Anglais David Bowie, remarquable chanteur, et les cinq de Roxy Music (avril, à l'Olympia), dont les costumes évoquent les paillettes dorées d'Elvis Presley comme le cuir noir de Gene Vincent. Leur musique elle-même réalise la synthèse de tout ce qui s'est fait depuis vingt ans. Un autre Anglais, Marc Bolan, l'âme de T. Rex, joue aussi à l'homme-objet et connaît un succès considérable dans le monde entier par la vente de ses disques. Son passage à l'Olympia, en mars, s'est cependant soldé par un échec : sur scène, aucun échange avec le public français.

Soul

Autour du rock et de son public gravitent des musiques qui touchent d'autres territoires. Underground chez les Américains La Monte Young et Terry Riley, envoûtement électronique qui s'inspire de l'incantation orientale, folk avec le retour, en France, aux musiques folkloriques mâtinées de modernisme technique, retour plus particulièrement marqué chez les Bretons et symbolisé par Alan Stivell, qui a battu des records de vente en 30 cm (février 1973, à Bobino) ; enfin, en plein regain de popularité, la soul music, c'est-à-dire tout simplement le jazz populaire des Noirs.

On n'en parlait plus guère depuis les années 60. La mort d'Otis Redding marquait la fin d'une époque, et ce n'est pas la venue annuelle de Ray Charles, ni les apparitions inattendues des toujours verts Chuck Berry (février, à l'Olympia) et Fats Domino (mai, à Pleyel), qui allaient marquer un quelconque renouveau.

Deux phénomènes, cependant, pourraient bien faire de 1973 une année décisive dans le renouveau d'une vieille aventure musicale aux multiples rebondissements, tout simplement l'épopée du blues.

Un vétéran confirmé, James Brown, touche maintenant le public africain, devient une sorte de passeur qui, le premier, a su lui rendre perceptible la musique négro-américaine. À Saint-Ouen, une foule énorme de travailleurs et d'étudiants africains est venue applaudir le show de James Brown en février, show qui a d'ailleurs été présenté dans plusieurs villes françaises.

Très différente de la transe perpétuée par James Brown, une nouvelle tendance imprègne la musique populaire noire actuelle : on ne hurle plus, on psalmodie ou l'on insinue, et les arrangements musicaux atteignent un raffinement rare, souvent influencé par les trouvailles sonores de la pop music – qui devait bien quelque chose à la soul music après lui avoir emprunté son rythme et son blues, le rhythm and blues.

À la suite de Sly and the Family Stone, le groupe le plus psychédélique de la musique noire, les anciens se sont modernisés avec un rare talent : il s'agit d'artistes ayant contribué au renom – extraordinaire aux États-Unis – de la firme Tamla Motown, entièrement gérée par des Noirs (et maintenant, dit-on, par la maffia) et label d'une variété rythmée de très grande qualité.

Trois albums, publiés en France fin 1972, sont venus affirmer ce changement et le début, pour Tamla, du succès chez nous : Talking Book, par Stevie Wonder, ouvert à mille influences, le merveilleux What's goin' on de Marvin Gaye, fruit d'un énorme travail en studio, et All Directions par les Temptations (mars, Pleyel). Autres nouvelles stars, Curtis Mayfield, Bobby Womack et Isaac Hayes (janvier, à l'Olympia), qui avait donné l'exemple d'une musique de film aux résonances nouvelles (Shaft). Curtis Mayfield et Bobby Womack poursuivent cette voie (Superfly et Across the 100th Street), plaçant une voix très cool sur de savants écrins orchestraux.

Jazz

Un amateur de jazz aux idées larges (donc plutôt jeune) peut considérer comme étant du jazz une bonne partie de ce que nous venons de passer en revue. Une vision un peu plus traditionnelle acceptera plus difficilement les actuels représentants de la soul music, pourtant artisans incontestables d'un jazz populaire qui n'a cessé d'évoluer, plus particulièrement dans le travail des sons.