En 1972, ces ensembles spécialisés, qui sont pratiquement tous en déficit et ne cessent de refuser des engagements qui ne feraient qu'accroître leur passif, se partageaient 676 800 F sur les 2 858 300 F consacrés par l'État aux conventions. Hors l'Orchestre de Paris et les trois grandes associations symphoniques de la capitale, qui bénéficient d'un statut particulier, le ministère subventionne également 8 orchestres municipaux, 25 sociétés de concerts des conservatoires et 55 formations diverses, dont deux seulement sont vouées pour l'essentiel à la musique du XXe siècle. Sur les 45 autres associations qui reçoivent des subsides, cinq s'attachent en premier lieu à la défense de la musique nouvelle et, sur les 62 festivals aidés par l'État, six présentent une majorité de compositions récentes. Le budget des commandes, qui n'a pas été augmenté depuis longtemps, est d'environ 500 000 F, alors que les crédits alloués au seul Opéra de Paris pour 1973 s'élèvent à 70 552 350 F.

Peu avant son départ, le ministre Jacques Duhamel a fait voter le « 1 % à la création artistique », imposé à tous les budgets culturels. Mais il est encore difficile de savoir si ce principe favorisera l'avant-garde ou l'académisme, et comment et par qui il sera appliqué.

Bref, cette année, qui a pourtant vu l'enthousiasme des foules pour la musique actuelle, a donc été aussi une année de vaches maigres pour les compositeurs vivants et pour leurs interprètes. À Paris, il y a eu, à peu près, moitié moins de concerts de musique contemporaine qu'il y a trois ans. Un exemple : en novembre 1972, à Londres, il y avait 32 concerts à dominante de musique du XXe siècle ; à Paris, dans le même temps, il n'y en avait que 5, dont 2 seulement assurés par des ensembles conventionnés.

La création musicale

Les mêmes grands noms reviennent en tête d'affiche depuis dix ans. Parmi eux, Karlheinz Stockhausen continue de tenir la vedette. Il poursuit sa recherche dans trois directions qui, quelquefois, se recoupent : la musique intuitive dont la partition se réduit à un texte d'incitation et qui est pratiquée maintenant par plusieurs groupes anglais, tels que Gentle Fire et Intermodulation qu'on a vus aux festivals de Chiraz et de La Rochelle ; l'intégration du geste et du spectacle vivant dans la musique proprement dite – sans qu'on puisse parler toutefois de véritable théâtre –, notamment avec Alphabet pour Liège, créé en septembre 1972, repris par La Rochelle et où se révèlent avec une évidence singulièrement troublante les effets physiques et psychiques du son, en une série de tableaux vivants simultanés auxquels participe parfois un appareillage scientifique hautement sophistiqué ; enfin et de plus en plus, le retour à l'écriture précise et, d'une certaine manière, à la musique pure, comme en témoignent les nouveaux développements apportés à Momente (dont la création de la version définitive a eu lieu à Bonn en décembre).

Orchestre

Iannis Xenakis, parallèlement à ses recherches d'automatisme audio-visuel pour le Polytope de Cluny (spectacle qui sera repris et développé au Gugenheim Museum de New York en 1974 et pour l'ouverture du Centre Beaubourg au début de 1976), a obtenu cette année les premiers résultats sonores sinon musicaux du couplage des synthétiseurs avec les ordinateurs, dans le cadre des travaux de son équipe de Mathématique et d'automatique musicale au Collège de France. Mais cela ne l'a pas empêché, au même moment, d'écrire pour La Rochelle une partition comme Eridanos, pour orchestre, qui ne doit absolument rien au calcul des machines. Pour la première fois, le jaillissement originel du son et les jeux de masses font place, chez Xenakis, à une élaboration linéaire raffinée, plus signifiante encore dans le détail que dans l'ensemble.

Ce retour au discours symphonique, voire à la grande forme, semble être devenu, depuis quelques mois, l'un des dénominateurs communs de la jeune musique arrivée à maturité. Luis de Pablo, Cristobal Halffter, Tomas Marco en Espagne, Franco Donatoni, Sylvano Bussotti, Salvatore Sciarrino en Italie, Mauricio Kagel, Dieter Schnebel en Allemagne, les Polonais, les Japonais, tous, sauf peut-être les plus virulents des Américains post-cagiens, affichent de plus en plus d'intérêt pour l'orchestre traditionnel.