Architecture / Urbanisme

Paris prendra-t-il enfin garde à ses tours ?

À cent pas de la place d'Italie, dans le 13e arrondissement, celle-ci grimpe allègrement à cent quatre-vingt-dix mètres de haut. Cette autre, dans le quartier de la Défense, où certains voient volontiers une sorte de Manhattan à la française, bat la première d'une bonne dizaine de mètres. Sur le front de Seine, elles s'en tiennent toutes à une hauteur avoisinant les cent mètres et, vers la porte de Choisy, savent se contenter d'une altitude oscillant entre cent et cent cinq mètres, la hauteur de la fameuse Zamansky plantée en lisière de la Halle aux vins...

La tour

Mais au beau milieu du vieux Montparno des rapins et des immeubles sages, narguant déjà l'ancêtre et le souvenir de Gustave Eiffel, la super-championne toutes catégories a atteint la cote deux cent neuf mètres, et avec elle le ton est monté, au rythme des étages : les Parisiens, soudain, se sont émus. On voulait défigurer leur bonne ville, briser les perspectives admirables dont, paraît-il, des générations avaient fait leurs délices.

Faut-il construire des tours ? Pourquoi en construit-on ? Doit-on cesser d'en élever çà et là, au hasard d'un urbanisme dont la caractéristique, faute de mieux, pourrait bien être une totale incohérence ? Nés aux États-Unis, et tout aussitôt baptisés gratte-ciel, les immeubles de haute élévation sont la résultante logique de plusieurs données d'ordre technique, économique et même sentimental.

Technique, puisque c'est d'abord la venue des ossatures en acier dans la construction qui déterminera de nouvelles possibilités quasi illimitées.

Les possibilités, contrairement à ce que l'on pense trop volontiers, ne sont jamais des prouesses : on pourrait bâtir cinquante fois plus haut. Ensuite, parce que la construction en hauteur était un problème forcément lié à celui des circulations verticales : il fallait inventer l'ascenseur avant d'inventer le gratte-ciel, le second dépendant totalement du premier. Les inventeurs du premier « chemin de fer vertical à crémaillère », installé en 1849 dans un hôtel new-yorkais, savaient-ils qu'ils allaient, en concevant leur engin, révolutionner l'architecture pour les siècles à venir ?

Économique, il est à peine besoin de le préciser, les investissements considérables entraînés par des terrains coûteux se voyant plus vite rentabilisés par la répétition verticale d'une même surface. Sentimental, enfin, le goût des Américains pour la concurrence et la publicité – pour ne pas dire le tape-à-l'œil – ayant trouvé dans des buildings toujours plus hauts, plus ruisselants de lumière la nuit venue, plus provocants les uns que les autres, un exutoire sans égal.

Défense

Pour en revenir à Paris et à ses tours, il faut faire quelques pas en arrière. Au mois d'octobre 1972, pour la première fois dans les annales de la République, le chef de l'État prend position en personne et exprime, par le truchement du Monde, sa façon de voir l'architecture contemporaine. Répondant en cela à ceux qui accusent les pouvoirs publics d'avoir laissé s'élever, à la Défense, des tours gâchant irrémédiablement la perspective « allant du Carrousel à la Défense », le président Pompidou fait remarquer que « personne ne s'est jamais arrêté sous l'Arc de triomphe pour contempler l'avenue de la Grande Armée ni l'avenue de Neuilly... », ce qui est parfaitement exact.

Allant plus loin, le président de la République souhaite voir à la Défense « une forêt de tours », car, précisera-t-il l'instant d'après, « rien n'est pire que cinq ou six tours essayant sans succès de se dissimuler... Ou l'on renonce aux tours, dit-il enfin, et il n'y a plus d'architecture dans un ensemble de cette importance, ou on les multiplie ».

Quelques mois avant cette interview, le préfet de Paris, Jean Verdier, alarmé par les pétitions circulant dans la capitale pour protester – systématiquement – contre toute nouvelle construction en hauteur, avait soumis (juin 1972) à l'examen du Conseil de Paris un projet de « plan de limitation des hauteurs » destiné à contrôler et à ordonner la poussée verticale, notamment pour ce qui concerne le centre de la ville et l'environnement immédiat des monuments historiques.