Journal de l'année Édition 1971 1971Éd. 1971

Les échanges extérieurs de la Grande-Bretagne ont déjà changé d'orientation. En 1958, les Anglais réalisaient chez les Six 14 % de leurs exportations ; en 1969, ils en faisaient 21 % ; parallèlement, leurs débouchés traditionnels dans les pays du Commonwealth perdaient de l'importance : 36 % en 1958 et 22 % en 1969. En 1970, les Anglais ont vendu plus de marchandises au Marché commun qu'au Commonwealth. L'avenir du commerce britannique est donc en Europe. E. Heath doit déployer beaucoup d'efforts pour convaincre ses concitoyens de cette évolution inéluctable. Les Anglais ont certainement plus de chemin à faire, pour s'intégrer à une Communauté européenne, qu'aucun autre pays du continent.

Au lendemain de la guerre, les Anglais étaient favorables à l'unité européenne (c'est même Winston Churchill qui en lança l'idée dès 1946), mais pas pour eux, pour les autres, c'est-à-dire pour aider au redressement des pays vaincus du continent (vaincus en 1940, comme la France, ou en 1945, comme l'Allemagne et l'Italie). Lorsque Robert Schumann proposa la création du pool charbon-acier en 1950, il essuya un refus très net des Anglais, qui considéraient favorablement, mais avec condescendance, la naissance de la Petite Europe. En 1958, avec la création du Marché commun, le mépris céda le pas à l'hostilité : les Anglais ont fait tout ce qu'ils pouvaient pour empêcher la mise en œuvre de cette union douanière dans laquelle ils voyaient comme la résurrection du blocus continental de Napoléon. Ils échouèrent dans leur tentative. Mais cela laissa des traces, d'autant qu'ils ont dû frapper trois fois à la porte avant de pouvoir entrer. Pour eux, le continent a toujours été le symbole de guerres, de révolutions, d'instabilité politique, de mœurs sauvages...

À cela s'ajoute la perspective très concrète, pour les ménagères britanniques, de payer le beurre deux fois plus cher ; pour toutes les familles anglaises, de ne plus entretenir de rapports privilégiés avec leurs cousins australiens, néo-zélandais ou canadiens ; pour les syndicats, de voir grandir la résistance du patronat à leurs revendications, à cause de la concurrence accrue dans une Communauté sans droits de douane.

Les compromis

Le fait que la France ait levé son veto et que E. Heath était décidé à entrer, coûte que coûte, explique que la négociation n'ait pas duré plus d'un an. Mais les discussions furent parfois difficiles sur les principaux dossiers. On a abouti aux compromis suivants :

– La libre circulation des marchandises (industrielles et agricoles) sera réalisée au cours d'une période transitoire de cinq ans, à partir de 1973. Pratiquement, les droits de douane diminueront cinq fois de 20 %, d'avril 1973 à juillet 1977. Parallèlement, les Anglais aligneront leur tarif douanier vis-à-vis de l'extérieur de la Communauté sur le tarif commun aux Six ; ils s'en rapprocheront de 40 % dès janvier 1974, puis trois fois de 20 %, en janvier 1975, janvier 1976 et juillet 1977. Compte tenu du fait que le tarif douanier des Six est plus bas que celui de la Grande-Bretagne, la suppression de toute frontière économique entre celle-ci et la Communauté est plus avantageuse pour les Six que pour les Anglais.

– La politique agricole commune est acceptée, intégralement, par les Anglais. Cela constitue, pour eux, un bouleversement considérable. En effet, leur politique actuelle consiste à se fournir à bon marché dans le monde entier en produits agricoles, et à verser des subventions budgétaires à leurs propres agriculteurs (3 % de la population, contre 15 % en France), pour leur assurer un revenu convenable malgré les bas prix auxquels on les contraint de vendre leurs produits. Sur le continent, au contraire, on donne la préférence aux achats dans la Communauté et on subventionne les agriculteurs en leur permettant de vendre leurs produits plus cher que sur le marché mondial. Autrement dit, en Grande-Bretagne c'est le contribuable qui subventionne l'agriculture, sur le continent c'est le consommateur. En changeant de camp, les Anglais transfèrent des contribuables (supposés aisés puisqu'ils paient des impôts) aux consommateurs (parmi lesquels il y a les pauvres gens) la charge de leur agriculture. Il a été entendu que les prix anglais auront rejoint les prix communautaires en 1978.