On avait espéré que la contraception (Journal de l'année 1969-70) se substituerait à l'avortement, de même que celui-ci s'est substitué à l'infanticide. Mais rien n'a été fait pour généraliser l'enseignement du contrôle des naissances dans les facultés de médecine, les maternités, les services de gynécologie. En dehors des 350 permanences du Mouvement français pour le planning familial (MFPF), surtout installées dans les villes, et des 2 000 cabinets de médecins liés à cet organisme, il est toujours difficile pour les femmes d'apprendre à bien se prémunir. Enfin, « l'attitude de l'opinion est contradictoire », ainsi que l'écrivait le Dr Hélène Michel-Wolfromm (aujourd'hui disparue). « On admet consciemment la nécessité d'une meilleure contraception qu'on refuse inconsciemment ».

Cheval de Troie

Cette situation a incité Me Dourllen-Rollier, avocate du MFPF, à fonder une Association pour l'étude de l'avortement, qui groupe quatre prix Nobel, des professeurs de médecine, de sciences, etc., et qui a mis au point une proposition de loi aux termes de laquelle un avortement deviendrait légal : si la poursuite de la grossesse menace d'aggraver un état pathologique de la mère ; si, du fait de facteurs héréditaires, d'intoxication, de blessures ou de maladies, il existe un danger sérieux que l'enfant à naître soit atteint de malformations physiques ou d'altérations psychiques importantes ; si la grossesse est la conséquence d'un viol ou d'un inceste ; si le père ou la mère est atteint d'une maladie ou d'une arriération mentale ; s'il est apporté la preuve que les parents se trouvent dans une situation telle qu'ils soient incapables d'assurer les soins matériels ou moraux nécessaires au futur enfant.

Considérée par beaucoup comme une ruse renouvelée du cheval de Troie avant l'assaut final pour l'avortement libre, cette proposition de loi a été refusée par le Conseil de l'Ordre, soit en vertu du dogme : « Tu ne tueras point », soit (Pr Lejeune, chef des « anti ») au nom « d'une démission, d'un crime contre l'esprit » inadmissible pour l'homme de science, qui doit « parvenir à renverser le destin ». Cependant, l'affaire a remué l'opinion et la proposition, remaniée par le Dr Peyret, a été déposée à l'Assemblée nationale. Pour d'aucuns, ce texte ne vise qu'à rectifier une législation désuète, afin d'empêcher un libéralisme de fait plus grand, un peu comme on allume un contrefeu !

Préserver la mère

La notion de sauvegarde, non plus de la vie, mais de la santé de la mère paraît acceptée, même s'il n'y a danger que dans cinq, dix, quinze ans, a précisé le Pr Lortat-Jacob, président du Conseil de l'Ordre. Parmi les affections généralement aggravées par une grossesse, citons : les insuffisances cardiaques, l'hypertension artérielle ; les insuffisances respiratoires, à cause de l'accroissement (de 50 %) du taux d'oxygène dans le sang exigé par la gestation et la délivrance ; certains cas d'asthme, de dilatation des bronches, d'emphysème, d'œdème du poumon ; les insuffisances rénales, avec ou sans hypertension artérielle ; les calculs ; la présence d'un rein unique qui n'est pas indemne ; une déviation importante de la colonne vertébrale ; les affections du tube digestif avec ulcère en évolution ou avec risque d'hémorragie ; toutes les maladies graves du foie, dont le travail est considérablement accru pendant la grossesse ; le diabète ; les maladies du cerveau (épilepsie grave) et du système nerveux (la sclérose en plaques, forme de paralysie évolutive) ; certaines affections des yeux et des oreilles qui aboutissent à la cécité ou à la surdité ; les cancers et les leucémies ; des maladies mentales : psychoses caractérisées telle la schizophrénie, névroses... Cette liste n'est pas exhaustive.

Il reste à savoir dans quelle mesure les trois médecins — dont l'un désigné par le Conseil départemental de l'Ordre — qui auront à se prononcer estimeront que telle maladie est déjà à un stade grave, en évolution ou stabilisée, susceptible de progresser dangereusement au cours d'une grossesse ? Compétence professionnelle et conviction personnelle entreront forcément en ligne de compte.

Les naissances à éviter

Le second point de la proposition de loi concerne l'enfant ; c'est le plus litigieux. La thalidomide est l'exemple type de l'intoxication médicamenteuse. Mais les remèdes employés pour bloquer le développement anormal des cellules malignes bloquent aussi celui des cellules fœtales. Les sulfamides utilisés dans le traitement du diabète induisent des malformations des extrémités. Les hormones mâles virilisent un fœtus de sexe féminin. Et que dire du tabagisme, de l'éthylisme ? Ces toxicomanies seront-elles prises en considération ?