Au niveau des décisions politiques, le volume des dépenses consacrées à la science et, à l'intérieur de cette enveloppe, la répartition des crédits entre les diverses branches de la recherche sont l'objet de discussions et d'arbitrages parfois difficiles.

En France, les restrictions budgétaires des années 1967 à 1970 ont abouti à un sérieux retard sur les prévisions du Ve Plan. Alors que les dépenses de recherche et de développement devaient atteindre 2,5 % du produit national brut, elles n'ont représenté, en 1970, que 1,84 %, et ce pourcentage sera probablement encore plus bas pour 1971.

En francs constants (c'est-à-dire compte tenu de l'érosion du pouvoir d'achat de la monnaie), les autorisations de programmes de recherche pour 1970 ont été inférieures de 200 millions de francs à celles de 1966 et de 900 millions de francs à celles de 1968 ; cette tendance se prolonge en 1971.

Un luxe inutile

Le Comité consultatif de la recherche scientifique et la Délégation générale à la recherche scientifique et technique ont fait connaître (fin mars) les objectifs à inscrire dans le VIe Plan, conçu essentiellement comme un rattrapage d'opérations prévues au plan précédent et différées faute de crédits.

L'accent continue à être mis sur les travaux susceptibles de conduire à des applications industrielles. Ils absorbent plus de 56 % des crédits, la recherche fondamentale en recevant 34 %. Ainsi s'affirme la tendance à reléguer celle-ci au second plan, tendance devenue doctrine officielle depuis qu'un ministre de la Recherche, il y a quelques années, railla les savants qui gaspillent leurs efforts à étudier « la sexualité des étoiles de mer ». Il est toujours aventureux de prédire qu'une voie de recherche ne débouchera jamais sur une application pratique. Rutherford, qui découvrit la structure de l'atome, avait commis jadis cette imprudence en affirmant que l'énergie atomique ne pourrait être employée. Pour ce qui est des étoiles de mer, les Australiens, dont elles sont en train de ruiner les bancs de corail, regrettent justement qu'on n'en sache pas davantage sur leur sexualité, ce qui donnerait peut-être les moyens d'enrayer une prolifération inexplicable...

Compte tenu des menaces qui pesaient sur la recherche fondamentale, dénoncée comme luxe inutile, la part qui lui est laissée dans le VIe Plan apaisera dans une certaine mesure les milieux scientifiques.

Rangées clans une catégorie distincte, les recherches socio-économiques (définies comme visant à améliorer les conditions et le cadre de vie) se verront sans doute allouer un peu moins de 10 %.

2,5 % du PIB

À ces crédits concernant la recherche publique proprement dite, il faut ajouter celles des dépenses du Commissariat à l'énergie atomique, qui n'y sont pas comprises, la recherche militaire (qui de 3 300 millions de francs en 1970 doit passer à 4 300 millions en 1975), enfin la part de l'industrie privée, que l'on espère voir augmenter.

Au total, l'effort national de recherche pourrait atteindre, en 1975, 2,5 % du produit intérieur brut. Aux yeux des scientifiques, il s'agit là d'un minimum au-dessous duquel la planification n'aurait plus de sens.

En ce qui concerne le choix des programmes, le VIe Plan marque, par rapport au précédent, un recul des dépenses de prestige (ainsi la réalisation du lanceur Diamant C n'est plus prioritaire) et même d'équipement (mais la participation française au nouvel accélérateur du CERN n'est pas en cause), au profit des dépenses de fonctionnement. On estime que 3 000 à 3 500 postes de chercheurs seront créés dans le secteur public. Pour la recherche privée, on a avancé le chiffre de 10 000 postes nouveaux, et de 9 000 pour ceux qui relèvent de l'Éducation nationale.

Si cet effort de redressement (que les experts tiennent pour modéré en regard des besoins) n'est pas ralenti en route, comme ce fut le cas pour le Ve Plan, on prévoit, dans le cours du VIe, le danger d'une pénurie de chercheurs qualifiés, conséquence de la désaffection que manifestent actuellement les jeunes pour les études scientifiques. Les causes de cette désaffection sont multiples, mais elle est certainement favorisée par le resserrement des débouchés offerts aux jeunes scientifiques, à la suite des restrictions de crédits de ces dernières années. Aussi les responsables de l'enseignement scientifique dénoncent-ils les conséquences néfastes, à moyen et à long terme des « coups d'accordéon » dans la politique de la recherche fondamentale.