Journal de l'année Édition 1970 1970Éd. 1970

C'est aussi l'heure de la mobilisation. Les réservistes et les anciens militaires sont rappelés, une force supplétive est créée. Les volontaires de 18 à 45 ans sont invités à s'engager. Mais l'armée cambodgienne ne peut que difficilement faire face à une situation qui ne cesse de se dégrader. Elle ne manque pas seulement d'hommes, mais d'armes, de véhicules, de munitions. Le 16 avril, le gouvernement Lon Nol demande l'aide des États-Unis et renouvelle son appel le 22. Washington fait la sourde oreille, examine et étudie. Manifestement, les Américains sont soucieux — au moins à ce moment-là — d'éviter des actions qui, aux yeux de l'opinion publique, pourraient apparaître comme un nouvel engagement de leur part. Ils tournent finalement la difficulté en approuvant la livraison par Saigon à Phnom Penh de plusieurs milliers de fusils, AK-47... de conception soviétique et de fabrication chinoise (pris aux Vietcongs et aux Nord-Vietnamiens). Une approbation qui est déjà un engagement.

De leur côté, l'armée Sihanouk, le Vietcong et les Nord-Vietnamiens ne restent pas inactifs. Dès le 26 mars, huit jours après le coup d'État, des éléments favorables au prince déchu manifestent en sa faveur à travers tout le territoire, et le 19 ils passent à l'attaque contre les troupes régulières : embuscades, harcèlements, occupations de villages.

L'armée Sihanouk attaque

La stratégie des adversaires du nouveau gouvernement cambodgien apparaît très rapidement. Il s'agit de protéger tout le sud-est du pays qui constitue une région clef pour le Viêt-cong et les Nord-Vietnamiens. C'est l'une des arrivées de la piste Ho Chi Minh ; c'est aussi l'une des bases (état-major, ravitaillement, hôpitaux...) les plus importantes du Viêt-cong. Enfin, Saigon n'est qu'à quelques dizaines de kilomètres. L'armée Sihanouk et ses alliés élargissent peu à peu leur champ d'action et intensifient leurs attaques. Évitant dans la mesure du possible les batailles rangées, ils s'efforcent de s'assurer le contrôle d'un arc de cercle épousant en profondeur la frontière sud-est du Viêt-nam.

De la région de Krek, à 145 km au nord-est de la capitale, à Takeo, à 87 km au sud, en passant par Mimot et Sway Rieng, les procommunistes sont pratiquement maîtres du terrain, même si les villes ne leur appartiennent pas toujours et font l'objet de combats sporadiques avec les troupes cambodgiennes, qui s'opposent par une résistance très forte aux attaques vietcongs. Les milliers de nouvelles recrues mobilisées par le gouvernement Lon Nol ne sont pas aussi aguerries que les maquisards, rompus depuis des années aux combats clandestins.

Parallèlement, une action diplomatique est engagée. Les 24 et 25 avril, les quatre dirigeants de la gauche indochinoise — Sihanouk (Cambodge), Souphanouvong (Laos), Pham Van Dong (Viêt-nam du Nord), Nguyen Huu Tho (Front national de libération) — se réunissent en Chine (à Canton, affirme-t-on) afin de mettre au point un programme commun pour la lutte de libération en Indochine. Le Premier ministre chinois, Chou En-lai, assiste à une partie des travaux.

Frapper un coup décisif

C'est dans ce contexte que le monde, stupéfait, apprend l'intervention des troupes américaines au Cambodge. Rien ne la laissait prévoir. L'administration Nixon, qui s'était plutôt réjouie du renversement de Sihanouk, se montrait quelque peu inquiète de l'évolution de la situation (réticences aux appels de Lon Nol) et affirmait sa volonté de désengagement du Sud-Est asiatique (le président avait annoncé un nouveau retrait de 150 000 hommes du Viêt-nam).

Nixon a-t-il cédé à la pression de ses généraux, désireux de frapper un coup décisif ? Aux demandes des Sud-Vietnamiens, angoissés de voir les troupes vietcongs se renforcer à la frontière cambodgienne ? A-t-il succombé à la tentation du dernier quart d'heure ? Aucun argument majeur n'a été donné pour justifier, sinon expliquer cette intervention. Le plus plausible, selon certaines informations, aurait été que les services de renseignements américains avaient la certitude de capturer le quartier général du FNL.