Deux œuvres de classe n'ont pas eu la diffusion méritée : le Journal d'une schizophrène, de Nelo Risi, et Fuoco, de G. V. Baldi. Un coin tranquille à la campagne demeurera dans l'œuvre d'Elio Pétri une réalisation mineure si on la compare au superbe Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon, vainqueur à Cannes du Prix spécial du jury.

Le film la Bataille d'Alger, de Gillo Pontecorvo, coproduction italo-algérienne tournée en 1960 (Grand prix du festival de Venise) qui devait être programmé en juin à Paris s'est vu in extremis retiré de l'affiche. Devant les protestations — et les menaces — de quelques Associations d'anciens combattants et de rapatriés d'Afrique du Nord et de divers mouvements d'extrême droite, la compagnie Universal a préféré remettre sine die les projections du film pour éviter tout incident. On peut néanmoins s'étonner qu'après avoir reçu le feu vert du gouvernement un film (dont l'objectivité ne fait aucun doute pour ceux qui ont pu le juger sans parti pris) soit retiré de l'affiche. Un précédent fâcheux.

Scandinavie

Une saison qui aurait été assez terne pour les Scandinaves si le grand Bergman, toujours lui, n'était venu une fois de plus imposer son talent. Présentée hors compétition au Festival de Cannes, Une passion a, phénomène rarissime, enthousiasmé une critique unanime. Utilisant pour la seconde fois la couleur comme élément dramatique, Bergman a réussi l'un de ses films les plus fascinants. Le dépouillement frise maintenant l'austérité ; le message, si message il y a, est toujours aussi désespéré, mais ces personnages coupés du monde (le film se passe à nouveau dans une île), qui se cherchent et se déchirent, forment à eux seuls matière au film le plus poignant de cette saison cinématographique.

URSS

Les films soviétiques se font de plus en plus rares sur les écrans français. Mais la sortie d'un Andrei Roublev nous console amplement de l'adaptation poussiéreuse du nième chef-d'œuvre de la littérature classique russe ou de la biographie résolument réaliste-socialiste de quelque tankiste héroïque.

Andrei Tarkovski nous offre sans doute l'œuvre la plus importante depuis Ivan le Terrible : poème lyrique, subtile évocation des rapports qui lient l'artiste au pouvoir politique de son époque, étonnante reconstitution d'un monde médiéval partagé entre la cruauté et la rapacité, Andrei Roublev est aussi un hymne à la beauté, à la poésie, à la recherche individuelle. On comprend que l'évocation de la vie de ce grand peintre d'icônes ait fait grincer quelques dents à Moscou.

Sur un mode mineur, Serghei Youtkhevitch, dans Un amour de Tchekov, a signé une délicate réussite en traduisant parfaitement l'âme tchékovienne grâce à des décors raffinés.

Pays d'Europe centrale

Les cinémas d'Europe centrale cherchent leur second souffle.

Tenue politiquement sous le boisseau, la Tchécoslovaquie ne nous a pas fait connaître les derniers travaux des Menzel, Jires et autres Jakubisko.

De Pologne, un silence qui va peut-être enfin s'interrompre après le succès remporté au Festival de Cannes par le dernier film d'Andrzej Wajda : Paysage après la bataille.

C'est encore la Hongrie qui paraît la plus talentueuse avec le Miklos Jancso de l'année, Ah ! çà ira, et la découverte d'Istvan Gaal, auteur très doué des Faucons. Quant à la Yougoslavie, c'est par l'humour noir et le réalisme sordide qu'elle s'impose grâce à Zivojin Pavlovic (Quand je serai mort et livide).

Amérique latine

Le cinéma en Amérique latine est une arme idéologique et politique. Au Brésil, à Cuba, en Bolivie, en Argentine, une nouvelle génération de cinéastes a remplacé les vieux routiers qui copiaient avec plus ou moins de bonheur Hollywood ou s'embourbaient dans les recettes éprouvées d'un folklore suranné.

Au Brésil, le chef de file du cinéma novo, Glauber Rocha, approfondit, dans Antonio-Das-Mortes, certains thèmes déjà traités dans le Dieu noir et le Diable blond. D'autres Brésiliens viendront bientôt épauler Rocha : Joaquim Pedro de Andrade, auteur d'un désopilant Macunaïma, et Nelson Pereira dos Santos, à l'apogée de son talent dans l'Aliéniste, deux des découvertes majeures du Festival de Cannes, avec le Bolivien J. Sanjines et son Sang du condor.