Devant l'opposition qu'il rencontre, le gouvernement est conduit à amender son projet initial. C'est alors que s'engage la bataille boursière pour le contrôle des banques de dépôts. Les transactions s'étoffent sur le Crédit industriel et commercial, mais aussi sur le Crédit du Nord et sur le Crédit commercial de France, qui monopolisent les transactions jusqu'au premier tiers d'octobre, la Compagnie financière de Suez et la Compagnie financière de Paris et des Pays-Bas convenant alors d'un partage d'Influence au sein du CIC. Les transactions demeurent toutefois importantes encore sur le CCF.

Entre-temps, l'accord Hœchst-Roussel-Uclaf a vu le jour et les négociations se prolongent pour la prise d'une participation de Fiat dans Citroën. Les regroupements ou accords de coopération ne sont cependant pas exclusivement internationaux, puisque Ugine-Kuhlmann et Pechiney-Saint-Gobain décident en novembre 1968 de regrouper leurs activités engrais.

La non-dévaluation

La situation est devenue préoccupante sur le plan monétaire international. Les sorties de devises de la Banque de France sont précipitées par la spéculation internationale sur le deutschemark. La tension monte sur les marchés des changes des différentes places mondiales et la Bourse de Paris doit fermer les 20, 21 et 22 novembre 1968, après deux semaines de forte baisse qui ont ramené l'indice général des valeurs françaises peu au-dessus du niveau de fin juin. Le mot de dévaluation est sur toutes les lèvres, l'idée est acquise dans le public, qui en est à discuter du taux.

Mais la décision gouvernementale est nette : le franc ne sera pas dévalué et le contrôle des changes est rétabli, beaucoup plus efficace qu'au début de l'été 1968. Parallèlement, la taxe sur les salaires est supprimée et le taux de la TVA augmenté. La Bourse se redresse, tout en demeurant sélective. Les investisseurs recherchent les sociétés susceptibles de bénéficier des nouvelles mesures, c'est-à-dire celles qui emploient un nombreux personnel et celles surtout qui sont fortement exportatrices. Les grands groupes internationaux sont favorisés, tels Michelin, Rhône-Poulenc, l'Air liquide ou Saint-Gobain.

BSN contre Saint-Gobain

Le feu couve, d'ailleurs, sur le titre Saint-Gobain dont les transactions s'élargissent durant la première quinzaine de décembre 1968. De 143 F au début du mois, les cours de Saint-Gobain progressent à 204 F le 20 décembre, quand ce que la Bourse n'osait croire devient une évidence : le premier groupe verrier français, dont les intérêts sont également considérables dans la chimie, le pétrole et le papier, est l'objet d'une offre publique d'achat.

Qui plus est, l'acheteur n'est pas un grand groupe international, hypothèse politiquement peu probable, mais une firme française de moindre dimension, en dépit de son dynamisme, qui se propose d'acquérir quelque 30 % du capital de Saint-Gobain en émettant des obligations convertibles.

Qu'il s'agisse d'offre d'achat ou d'échange, la terminologie importe peu. Pour la Bourse, l'initiative de BSN est un choc salutaire, le second événement majeur de l'année après la lutte d'influence sur le CIC. Son incidence est triple :

– L'investisseur, professionnel ou non, découvre que les grandes sociétés françaises sont nettement sous-capitalisées et que cette sous-capitalisation peut susciter l'intérêt, malgré la taille des entreprises concernées.

– La technique adoptée par Saint-Gobain pour se défendre, indépendamment de l'intervention boursière des groupes amis, marque un tournant capital dans l'évolution des relations entre sociétés et actionnaires, tournant illustré par l'opération portes ouvertes et une surenchère d'informations.

– Enfin, ces mêmes actionnaires, si faible soit le nombre des titres détenus, prennent conscience du rôle qui leur est imparti, tandis que le grand public se passionne pour l'opération et découvre la Bourse.

Le mois de janvier 1969 est dominé par le conflit qui oppose les deux grands groupes verriers. Les achats massifs d'actions Saint-Gobain stimulent l'ensemble du marché, qui connaît une reprise sans précédent. Le mouvement se poursuit jusqu'à la mi-février, suivi d'une brève réaction technique et d'une nouvelle hausse.