Affaires étrangères, défense nationale ; c'est le « domaine réservé » du chef de l'État, qui a maintenu plus de dix ans le même homme, Maurice Couve de Murville, à la tête du premier de ces départements et n'a eu, avec René Guillaumat et Pierre Messmer, que deux ministres de la Défense. Dès le 24 septembre 1958, quatre jours avant le référendum qui devait fonder la Ve République, de Gaulle adressait aux alliés un mémorandum longtemps tenu secret qui affirmait la qualité de puissance mondiale de la France, exigeait qu'elle fût partie à toutes les décisions des Grands. C'est le point de départ et aussi le cadre désormais immuable de tout ce qui sera fait pendant dix ans.

L'autre pilier de cette politique, c'est le nuage de l'explosion atomique du 13 février 1960, essai de la première bombe A française. « Hourra pour la France », câble de Gaulle. Il faudra huit ans pour qu'explose à son tour la première bombe H, pour que la « force de frappe » soit une réalité tactique et stratégique. Mais la grandeur et l'indépendance, qui constituent aux yeux du général les deux faces d'une même monnaie, sont à ce prix.

Dans la ligne du mémorandum de 1958 s'inscriront le dégagement progressif des forces françaises de l'Organisation atlantique : retrait de la flotte de Méditerranée (1959), de l'aviation (1960), de l'armée de terre (à partir de 1962), de la flotte de l'Atlantique (1965). Enfin, la France quitte l'OTAN, et les commandements interalliés installés sur son territoire sont transférés en Belgique (1966). Elle demeure cependant membre du Pacte, qui, en 1969, se trouve reconduit, non sans que Paris ait réclamé, en vain, sa révision complète.

Dans la logique de cette politique qu'on peut juger aventureuse et provocante, mais à laquelle on ne peut refuser le mérite d'une certaine cohérence, du moins jusqu'à la fin de 1968, le détachement entrepris à l'Ouest s'accompagne d'un dégel des relations avec l'Est. Voyages successifs des dirigeants soviétiques, puis de ceux des principales démocraties populaires en France, visites du général de Gaulle en URSS, en Pologne, en Roumanie, recherche obstinée et malaisée d'accords comme celui qui porte sur l'exploitation en commun du procédé français de télévision en couleurs, d'élargissement des relations culturelles, commerciales, techniques, humaines et parfois politiques : il s'agit d'ébaucher cette Europe « de l'Atlantique à l'Oural » qui seule pourra parvenir au règlement de ce qu'on nomme à l'Ouest le problème allemand et à l'Est la sécurité européenne.

Par voie de conséquence, dans les réunions et conférences internationales, les délégations françaises chercheront constamment une troisième voie pour résoudre les conflits congolais, dominicain, laotien, vietnamien, israélien, biafro-nigérien. Elles se singularisent par leurs votes à l'ONU, par leurs suggestions et, quand elles n'obtiendront pas la prise en considération de leurs propositions, par leur départ.

Ce sont la politique de la chaise vide, le refus de signer le traité de Moscou sur l'arrêt de certaines explosions thermonucléaires, l'embargo sur les armes à destination de tous les belligérants au Moyen-Orient. Ce sont les critiques adressées constamment à la politique vietnamienne des États-Unis, à l'Occident dans les affaires du Moyen-Orient, aux deux camps dans la guerre du Congo et plus tard dans celle du Biafra. Ce sont l'encouragement, l'appui moral plus que matériel, les incitations formulées à tous ceux qui, dans l'un ou l'autre camp, qu'il s'agisse des nations sud-américaines, des démocraties populaires européennes, des pays asiatiques ou africains non engagés, entendent suivre leur voie propre, échapper à une tutelle aliénante, cesser d'être des satellites. Et encore le maintien ou le réveil de la francophonie défendue en Afrique, recherchée en Europe et même au Québec — et avec quel éclat ! Droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, non-intervention, non-alignement, défense des petites nations, règlement par arbitrage des conflits, telles sont les bases doctrinales sans cesse proclamées de la diplomatie gaulliste.