Dossier : inventaire des onze années de gaullisme

Dix ans, neuf mois et vingt-huit jours : c'est la durée du pouvoir du général de Gaulle, entre son investiture comme président du Conseil, le 1er juin 1958, et sa démission du 28 avril 1969. Dix ans, presque onze, qui pèseront lourd dans l'Histoire quand, plus tard, les passions apaisées, on en fera le bilan. Il est trop tôt pour oser un jugement sur cette singulière période, pour dire s'il s'agissait bien de la transition entre la France du XIXe siècle et celle du XXIe ou plus simplement pour rechercher la nature de cette étape dans l'évolution d'un pays qui tantôt se fie exclusivement à un homme, tantôt se livre à des jeux politiques subtils que les uns nomment la démocratie, les autres la confusion.

En revanche, on peut tenter de faire l'inventaire de ce qui a été réglé, de ce qui a été amorcé et de ce qui a été entrepris dans un certain nombre de domaines essentiels. Qu'en restera-t-il ? Sur certains sujets comme la paix algérienne et la décolonisation, par exemple, la réponse est claire. Sur d'autres, notamment en matière d'institutions politiques, de défense ou de politique étrangère, elle est beaucoup moins évidente et assurée. Aussi a-t-on choisi ici de s'en tenir rigoureusement aux faits. Qu'on ne cherche pas, dans cette revue des événements, volontairement sèche et dépouillée, d'appréciations, de jugements de valeur et moins encore de pronostics. Il s'agit bien d'un simple inventaire, où chaque dossier, traité ou ouvert, est signalé, parfois mis en perspective, mais non discuté.

Plutôt que d'adopter l'ordre chronologique où les problèmes, forcément, se chevauchent et interfèrent, on a choisi de regrouper par grands sujets les principaux éléments, positifs ou négatifs peu importe, de la politique suivie au cours de ces années. Il s'agit simplement d'indiquer une tendance, de marquer quelques points de repère et de dresser une liste de faits, non d'écrire l'Histoire. Voici donc comment se présentaient, au moment où le général de Gaulle a quitté la scène, le bilan de son règne et le dossier de l'avenir.

Les institutions

Appelé par plusieurs des principaux caciques de la IVe République et bientôt par les vœux de la majorité de l'opinion pour mettre un terme à la guerre d'Algérie, le général de Gaulle choisit en 1958 de donner la priorité dans ses préoccupations à la réforme des institutions. Pour lui, c'est leur faiblesse, c'est le « mauvais régime » qu'elles ont engendré qui est à l'origine de tous les problèmes sur lesquels achoppe et meurt la IVe République. Son premier soin, à peine investi des fonctions de président du Conseil, est de se faire confier par l'Assemblée nationale les pouvoirs constituants.

La Constitution de la Ve République est élaborée au cours de l'été 1958 avec le concours des ministres d'État, de Guy Mollet à Pierre Pflimlin, du gouvernement (dans lequel figurent des hommes aussi divers par leur orientation qu'Antoine Pinay, Robert Buron, Pierre Sudreau, Jacques Soustelle et déjà Michel Debré, Maurice Couve de Murville et André Malraux), puis avec les avis d'un Comité consultatif constitutionnel comprenant un certain nombre de députés et de sénateurs. Elle est ratifiée par référendum à l'automne 1958 par quatre électeurs sur cinq. Elle établit un régime qui n'est ni vraiment présidentiel ni encore parlementaire, mais plutôt de type orléaniste. Le président de la République, véritable souverain constitutionnel, choisit et nomme à sa guise le Premier ministre et, sur sa proposition, les autres membres du gouvernement, met fin à leurs fonctions, peut dissoudre l'Assemblée nationale, organiser le référendum et même, en cas de circonstances graves, se saisir de tous les pouvoirs.

Dans la lettre, cependant, l'exercice de ces attributions demeure soumis à un certain nombre de consultations et de conditions. Le domaine parlementaire est strictement délimité, mais il demeure, en principe, relativement important tant pour l'élaboration de la loi que pour le contrôle de l'action de l'exécutif. La stabilité est garantie par la procédure de la motion de censure qui renverse la charge de la preuve : le gouvernement n'a pas besoin de réunir une majorité, il lui suffit qu'une majorité ne se forme pas pour le censurer, et la sanction, dans ce cas, est la dissolution.