Après l'échéance électorale de mars 1967, on décidait de passer à l'exécution. Quelques semaines encore, et les pouvoirs spéciaux demandés et obtenus apportaient les moyens de procédure : la réforme serait prise par ordonnances.

Une obligation nouvelle

Les trois ordonnances publiées au JO du 18 août et complétées par un décret d'application du 21 décembre 1967 établissent un droit nouveau des travailleurs sur les résultats de l'entreprise. Celle-ci, dès lors qu'elle emploie plus de 100 salariés, est soumise, à compter du 1er janvier 1968, à l'obligation de leur transférer la propriété d'une partie de son bénéfice.

Il s'agit ainsi de créer un intéressement direct aux fruits de l'expansion, de permettre « la formation d'une épargne nouvelle et le développement des investissements » en vue du progrès de l'économie. Il s'agit également, « sans diminuer en rien l'autorité de la direction », de favoriser « l'établissement de rapports nouveaux entre salariés, représentés par leurs syndicats, et patrons ».

Le ministère des Finances évalue à un peu moins de 5 millions le nombre de travailleurs appelés à bénéficier de l'intéressement.

Une réserve spéciale

Les droits qui leur sont attribués au titre de l'intéressement sont calculés en fonction des salaires perçus, mais limités à un plafond. Ils ne sont pas soumis à l'impôt sur le revenu. Ils ne peuvent être ni libérés, ni transférés, ni négociés avant l'expiration d'un délai de cinq ans, sauf dans certains cas (mariage, licenciement, mise à la retraite, invalidité ou décès du bénéficiaire).

Les sommes ainsi retenues sont obligatoirement consacrées à des investissements intérieurs ou extérieurs à l'entreprise. Elles sont une quote-part, variable selon les résultats d'exploitation, de ce qui reste du bénéfice fiscal net après déduction des impôts et rémunération des capitaux propres (capital social, réserves, reports à nouveau et provisions) au taux uniforme de 5 %. Elles constituent une « réserve spéciale de participation ». Elles sont calculées après clôture de chaque exercice et figurent dans le bilan de l'exercice suivant.

Les modalités

Ces sommes servent encore de bases pour le calcul des exonérations fiscales qui sont associées à l'intéressement et ont pour effet, pratiquement, d'en reverser la charge entière sur les finances publiques, à la condition que l'entreprise en double l'investissement.

Le mode d'utilisation des sommes inscrites à la réserve spéciale peut être :
– l'attribution d'actions de l'entreprise ;
– l'ouverture d'un droit de créance (en forme d'obligations ou de comptes courants bloqués) ;
– le versement à des organismes de placement de fonds ;
– le versement à un plan d'épargne de l'entreprise.

Sous réserve d'agrément, des accords peuvent être conclus sur des bases différentes entre employeurs et salariés. Quant aux régimes d'intéressement existant avant le 18 août 1967, ils peuvent être maintenus jusqu'au 1er janvier 1970, s'ils sont reconnus comme au moins équivalents.

Dans tous les cas, les modalités de la participation doivent s'insérer soit dans une convention collective entre les organisations patronales et ouvrières au niveau de la branche ou de la région, soit dans un accord d'entreprise conclu par l'employeur avec la représentation syndicale ou le comité d'entreprise.

Critiques et objection

Les trois ordonnances avaient fourni un cadre qu'il s'agissait de remplir. Tout dépend et dépendra longtemps encore de ce qu'on voudra y mettre, ainsi que du fonctionnement du système.

Tel qu'il fut conçu et présenté, l'intéressement a suscité plus de protestations et de critiques que de satisfaction. Le patronat marqua vite une certaine inquiétude. Les syndicats ouvriers parlèrent de pseudo-intéressement, de faux-semblant, voire d'escroquerie.

Les responsables gouvernementaux, bon nombre de gaullistes et leurs alliés giscardiens redoutaient d'être allés trop loin, sous la pression du chef de l'État. Les gaullistes de gauche ne se déclaraient pas satisfaits par des dispositions trop timides à leurs yeux.