Quant à la musique contemporaine, elle était représentée par l'ensemble Musique vivante de Diego Masson, qui présentait notamment la création de deux œuvres commandées spécialement par ce festival, Textures enchaînées, de Jean-Pierre Guézec, et Finn Catapulte, de René Koering, qui témoignent toutes deux de tempéraments fort vigoureux.

En août, à la Fondation Maeght, sur les hauteurs de Saint-Paul-de-Vence, le festival de musique moderne organisé par Francis Miroglio groupait tout un ensemble assez impressionnant de premières auditions (ou d'auditions d'œuvres rarement entendues) signées de Pierre Boulez, Edgar Varese, Gilbert Amy, Gilles Tremblay, Roman Haubenstock-Ramati, etc.

Après l'hiver, morte-saison des festivals, ceux-ci devaient reprendre, à Royan, lors des fêtes de Pâques 1968. Dix créations mondiales et cinq premières auditions en France, tel était le substantiel programme de ce cinquième festival de Royan.

Nouveautés

Parmi les œuvres qui ont tout particulièrement attiré l'attention, il convient de citer : Le temps restitué, de Jean Barraqué, d'après Hermann Broch, partition d'une ampleur et d'une puissance incontestables ; Event, Synergy II, du compositeur américain Earle Brown, qui sait fort ingénieusement utiliser les ressources du hasard ; Imaginario II, de l'Espagnol Luis de Pablo, qui se confirme comme l'une des personnalités les plus généreusement inventives de l'école actuelle ; Trajectoires, pour violon et orchestre, de Gilbert Amy, qui élargit opportunément un style post-boulézien pour prendre du corps et de la personnalité ; Nuits, pour douze voix mixtes a cappella, de Iannis Xenakis, sorte de cauchemar vocal inspiré par le sort des détenus politiques, et qui nous révèle un aspect nouveau d'un compositeur déjà considéré comme l'un des plus forts tempéraments de l'époque ; enfin Lignes, pour baryton et orchestre, de Paul Mefano, œuvre qui, composée peut-être à la hâte, n'en confirme pas moins l'une des natures les plus visionnaires de la jeune école.

L'invité d'honneur du festival, le compositeur allemand Karl Heinz Stockhausen, faisait l'objet d'une sorte de panorama de toute sa production, depuis ses œuvres d'extrême jeunesse, telles que Kreuzspiel et Punkte, jusqu'à ses réalisations les plus récentes : Solo pour trombone et bande magnétique, Telemusik, Procession, où le musicien fait la synthèse vivante des moyens d'expression traditionnels et électro-acoustiques, synthèse la plus complète, la plus poussée, et aussi la plus inspirée que les techniques modernes aient produites.

L'art total

La plus grande sensation de ce panorama Stockhausen a été la première audition en France de sa dernière œuvre, Hymnes, gigantesque rêve sonore de près de deux heures, œuvre vocale, instrumentale et électronique, utilisant des éléments empruntés à différents hymnes nationaux. Cet ouvrage fabuleux a été le sommet du festival.

D'une durée que l'on pourrait croire intolérable, cette œuvre ne connaît pas de fléchissement : la durée même joue en sa faveur, et c'est grâce à cet excès que l'on entre vraiment dans l'ouvrage, dans sa fascinante poésie, dans le rythme de sa dramaturgie, et que l'on peut s'installer dans ce langage insolite.

L'habileté et l'ingéniosité de la facture sont d'ailleurs admirables dans cette trame, où sont jetés à profusion des éléments de toutes provenances traités avec les procédés les plus divers, y compris ceux qui sont apparentés au domaine plastique comme collage, pop'art, op'art, où il n'y a plus de frontière entre le tonal et l'atonal, entre le bruit et le son, entre le concret et l'électronique.

La saison des festivals aurait dû normalement se poursuivre avec ceux de Bordeaux, de Lyon et du Marais parisien, mais la crise de mai 1968 a contraint les organisateurs à annuler ces manifestations.

Le conservatoire à l'heure des réformes

Les élèves du Conservatoire national supérieur de musique de Paris, suivis plus ou moins mollement de quelques professeurs, ont remis en question, en mai 1968, les principes de l'enseignement musical et ses structures.