Parmi les autres aspects de l'année cinématographique on notera la stabilité du nombre de films produits (malgré une légère diminution des coproductions), la diminution des maisons de production et la toute-puissance de la couleur (116 films tournés en Eastman-color sur les 120 produits).

Les états généraux

Les événements de mai ont eu de profondes répercussions dans l'industrie du cinéma. Le Festival de Cannes doit fermer ses portes après une semaine de compétition (très médiocre, à quelques exceptions près). Cinéastes et critiques quittent la Croisette, où soufflait un vent de panique, pour rejoindre leurs camarades parisiens, qui, constitués en états généraux, tentent de mettre au point diverses réformes importantes. Après plusieurs jours de discussions passionnées, un projet de synthèse s'élabore à partir de trois motions (respectivement défendues par Louis Malle, Pierre Lhomme, Michel Cournot et Claude Lelouch). Des objectifs précis sont définis, notamment :
– la destruction des monopoles et la création d'un organisme national de diffusion et d'exploitation ;
– l'application du principe de l'autogestion ;
– la création de groupes de production autogérés non soumis à la loi du profit ;
– l'abolition des censures ;
– l'intégration de l'enseignement audiovisuel dans l'enseignement rénové ;
– l'union étroite du cinéma et de la télévision indépendante du pouvoir et autogérée.

L'avenir dira si ce programme est réalisable.

L'affaire de la cinémathèque

Le 9 février 1968 éclate à la une de tous les journaux une affaire qui va immédiatement déchaîner les passions. Lors de la réunion du conseil d'administration de la Cinémathèque française, les représentants de l'État (devenus depuis peu majoritaires) élisent à la présidence le directeur des Arts et Lettres Pierre Moinot et remplacent Henri Langlois par Pierre Barbin.

Les membres minoritaires — dont François Truffaut — quittent avec éclat la séance, en affirmant leur solidarité avec Henri Langlois. L'« affaire de la Cinémathèque » devient très vite l'« affaire Langlois ». Il n'est pas possible, en effet, de dissocier la Cinémathèque du nom de son animateur principal, qui depuis trente-deux ans lutte avec opiniâtreté contre l'incurie des uns et l'indifférence des autres pour édifier une Cinémathèque qui, de l'avis unanime, est l'une des plus belles et des plus complètes du monde.

Fondée en 1936 par Henri Langlois, P. A. Harlé, Georges Franju et Jean Mitry, dans le dessein de sauver, conserver et diffuser les films du monde entier.

Association privée formée de plus de 700 membres-déposants, soutenue financièrement par l'État de 1945 à 1968.

La Cinémathèque détient environ 50 000 copies de films et de nombreuses pièces de collection et documents divers qui pourraient constituer les éléments d'un futur musée du cinéma.

Deux salles de projection à Paris : rue d'Ulm et palais de Chaillot.

Le cadeau empoisonné

Langlois a d'abord combattu seul en collectionneur passionné. Mais, en 1945, les pouvoirs publics commencent à s'intéresser à lui. On lui alloue une subvention modeste ; c'est à la fois une manne et un piège. Lorsque, en 1959, André Malraux, ministre des Affaires culturelles, décide de relever substantiellement la subvention et envisage de faire construire de nouveaux blockhaus pour la conservation des films, on peut croire qu'enfin l'œuvre d'Henri Langlois va recevoir une consécration officielle. Mais le cadeau est empoisonné : inévitablement, des difficultés naissent entre les techniciens de la commission supérieure technique et Henri Langlois. Ces conflits internes vont s'envenimer et provoquer la crise.

Henri Langlois est davantage un poète et un fanatique de cinéma qu'un administrateur. Lorsque son éviction est connue, on évoque des dessous politiques, on rappelle les éliminations récentes de Pierre Boulez et de Gaëtan Picon. Quatre jours plus tard, tandis que, de toutes les parties du monde, affluent les protestations des cinéastes, des critiques et du public, une manifestation a lieu devant la Cinémathèque du palais de Chaillot : des heurts violents opposent la police et les cinéphiles venus en très grand nombre.

Libre mais pauvre

Un comité de défense se crée, présidé par Jean Renoir et comprenant notamment Alain Resnais, Jean-Luc Godard, Pierre Kast, Jacques Rivette, François Truffaut, Robert Bresson, Marcel Carné, H.-G. Clouzot, Jean Rouch. Apparemment surpris par l'ampleur des protestations, le ministre des Affaires culturelles rend publics les motifs de sa décision. Pendant tout le mois de mars l'« affaire » reste en sommeil.