Au contraire, c'est un mouvement extrêmement romantique, un Sturm und Drang compliqué d'un peu de politique et parfumé de beaucoup de drogue, qui nous vient de là-bas avec les beatniks, mouvement dont le représentant le mieux connu et le plus traduit en France est Jack Kerouac : mais l'influence de cette littérature reste surtout jusqu'à présent extra-littéraire, capillaire par exemple, chansonnière aussi. Le plus gros effort des traducteurs et des éditeurs semble porter sur une mise à jour et une mise en place des écrivains américains sur le marché français : parfois cela vient un peu tard, comme pour Ezra Pound, souvent cela reste sans retentissement immédiat. À retenir, cependant, un premier livre dont la nouveauté éclata aux États-Unis il y a quelques années et dont l'édition française vient seulement de paraître parce que la traduction présentait de très grandes difficultés, V, de Thomas Pynchon.

Union soviétique

De l'autre Grand, l'URSS, nous avons vu venir de nouveaux livres de romanciers dont les noms nous deviennent lentement familiers, comme Paoustovski (la suite de l'Histoire d'une vie) ou Iouri Kazakow, mais le courant des échanges internationaux a été une fois de plus troublé par une affaire qui touche à la poésie plus qu'au roman, l'affaire Siniavski-Daniel. Il y a donc une littérature clandestine, et une censure ? On peut encourir une lourde peine de bagne pour un délit d'opinion ? « vous ne courez donc pas où vous voulez ? » Les circonstances d'une affaire de ce genre sont à peu près inimaginables aujourd'hui en Occident et elles jettent on ne sait quelle ombre sur la littérature soviétique. De son rocher, notre dernier très grand écrivain proscrit tonnait...

Du troisième grand enfin, l'un des plus remarquables succès de librairie du printemps a été aux Citations du président Mao Tsé-toung, mais ce n'est pas un roman, hélas ! et les traductions de livres littéraires chinois sont restées assez peu nombreuses et sans grand retentissement.

Angleterre et Allemagne

Les relations les plus suivies, comme d'ordinaire, ont été établies avec les grands voisins européens, l'Allemagne, l'Italie et l'Angleterre. Au théâtre, la saison 66-67 a été à Paris une grande saison de théâtre anglais contemporain. Dans l'ordre du roman, les traductions ont également été nombreuses : elles ont mis à notre disposition des œuvres récentes et aussi des ouvrages plus anciens propres à nous donner une meilleure connaissance d'auteurs récents et populaires, d'auteurs classiques et même d'auteurs rares ou mineurs (la collection Domaine anglais de Pierre Leyris).

Italie

De même pour la littérature italienne, quelques auteurs, comme Dino Buzzati, par exemple, dont on a traduit un nouveau recueil de nouvelles, se font une place sûre parmi nos amis. On continue à traduire Vittorini ou Pavese, et pour les Italiens, pour les Allemands, une Europe se fait en somme, c'est-à-dire que nous ne cherchons plus la couleur locale ou le pittoresque géographique ou historique, mais peut-être davantage ce qui nous rapproche que ce qui nous sépare. La vision conventionnelle des peuples et de leur caractère s'efface peu à peu pour les lecteurs comme pour les voyageurs de plus en plus nombreux : un Pavese est un homme de ce temps, avec les problèmes privés ou politiques de tous les hommes de ce temps.

Amérique latine

Nous avons pu lire aussi d'assez nombreuses traductions d'ouvrages publiés en Amérique latine, de Miguel Asturias, d'Alejo Carpentier, de J.L. Borgès enfin, encyclopédiste et encyclopédiste du ciel, de la terre et de l'enfer, écrivain enraciné dans son continent, mais écrivain universel aussi par la prodigieuse étendue de la culture, et peut-être plus encore par la singularité, le détachement du point de vue spirituel qui est le sien : c'est un écrivain métaphysique, un peu au sens où l'on parle des poètes métaphysiques anglais, le premier conteur métaphysique mondial.

Tiers monde

Il faudrait rassembler aussi, romans, mais encore témoignages, essais, confessions, poèmes, les textes qui nous viennent du tiers monde, de tous les tiers mondes de la faim et de l'esclavage. Les nations de toute la terre commencent à parler, et il est juste et bon que leurs paroles trouvent un écho en français : littérature qui crève toute sophistication littéraire, qui nous ramène en deçà peut-être, mais dans un monde élémentaire que nous ne pouvons pas éliminer par le dédain intellectuel.