Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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orgue (suite)

 F. Bédos de Celles, l’Art du facteur d’orgues (Delatour, 1766-1778, 3 vol. ; rééd., Cassel, 1963-64). / F. Raugel, les Organistes (Laurens, 1923 ; 2e éd., 1963) ; les Grandes Orgues des églises de Paris et du département de la Seine (Fischbacher, 1928). / A. Merklin, Organologia (Madrid, 1924). / A. Pirro, « l’Art des organistes » dans Encyclopédie de la musique sous la dir. de A. Lavignac et L. de La Laurencie, 2e partie, t. II (Delagrave, 1926). / G. Servières, la Décoration artistique des buffets d’orgues (Van Oest, 1928). / Y. Rokseth, la Musique d’orgue au xve siècle et au début du xvie (Droz, Genève, 1931). / A. Cellier et H. Bachelin, l’Orgue, ses éléments, son histoire, son esthétique (Delagrave, 1933)./ H. Klotz, Über die Orgelkunst der Gotik, der Renaissance und der Barok (Cassel, 1934). / N. Dufourcq, Esquisse d’une histoire de l’orgue en France, du xiiie au xviiie siècle (Larousse, 1935) ; la Musique d’orgue française de Jehan Titelouze à Jehan Alain (Floury, 1941 ; 2e éd., 1949) ; l’Orgue (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1948 ; 4e éd., 1970) ; le Livre de l’orgue français (Picard, 1968-1975 ; 4 vol. parus). / C. Mahrenholz, Die Berechnung der Orgelpfeifen-Mensuren vom Mittelalter bis zur Mitte des 19. Jahrhunderts (Cassel, 1938). / R. Lunelli, Der Orgelbau in Italien (Mayence, 1956). / M. A. Vente, Die brabanter Orgel (Amsterdam, 1958). / A. Cellier, Traité de la registration de l’orgue (Éd. de la Schola cantorum, 1961). / C. Clutton et A. Niland, The British Organ (Londres, 1963). / J. Perrot, l’Orgue de ses origines hellénistiques à la fin du xiiie siècle (Picard, 1965). / P. Williams, The European Organ, 1450-1850 (Londres, 1966).
On peut également consulter les revues l’Orgue (Éd. Amis de l’orgue, 1927 et suiv.). The Organ, L’Organo, etc.


Les organistes de jazz

L’orgue (d’église ou de cinéma) à tuyaux fut peu utilisé par les musiciens de jazz, à l’exception de Fats Waller, qui, dès 1926, sut en exploiter tout l’éventail de possibilités. À la même époque, des artistes de variété, notamment Jesse Crawford, Milt Herth, Ethel Smith, explorent les possibilités de divers engins, de facture plus moderne, en particulier l’orgue Wurlitzer, ce qui conduira à la fin des années 40 à la commercialisation de l’orgue électrique, dont la série la plus connue est celle qui est produite par la firme Hammond. Il ne s’agit plus d’un instrument à vent, mais d’une machinerie électronique où des bobines reliées aux contacts des touches du clavier et du pédalier excitent directement les membranes des haut-parleurs. Cet engin, relativement mobile, permet, dans un établissement public, de faire l’économie d’un orchestre en limitant à trois le nombre des musiciens (orgue, guitare et batterie) à une époque où justement le public se lasse des grandes formations. Ce qui explique qu’à partir de 1948 nombre de pianistes adoptent l’orgue Hammond. Pour certains (Count Basie, Oscar Peterson, sir Charles Thompson, Marlowe Morris, Ram Ramirez, Georges Arvanitas, Ray Charles...), ce n’est qu’un supplément de timbres et de possibilités techniques. Pour d’autres, la conversion sera définitive. Ainsi, Wild Bill Davis s’impose-t-il en 1950 comme le « premier organiste électrique du jazz », précurseur par le style, la formule orchestrale (trio) et aussi improvisateur habile à marier flonflons « romantiques » et agressivité des riffs et des rythmes. Bill Doggett, à peu près à la même époque, produit un son d’ensemble où les voix de l’orgue se mêlent à celles du saxophone et de la guitare, style qui est aussi celui d’Arnold Jarvis au sein du groupe que Cootie Williams dirige au Savoy Ballroom, tandis que Milt Buckner transpose du piano à l’orgue le jeu en « block chords » (accords plaqués en bloc). Moins connu, du moins en Europe, Jackie Davis a une grande importance en raison de sa virtuosité, qui lui permet d’élargir encore la gamme des possibilités de l’orgue Hammond.


Gospel, be-bop, danse, pop et free

L’orgue s’imposa donc pour des motifs surtout économiques et de mode, tendance qui s’accentua au milieu des années 50, lorsque s’opéra un rapprochement entre les styles instrumentaux de l’époque et les formes traditionnelles du gospel, où les chœurs sont accompagnés par l’orgue, successeur de l’antique harmonium. En 1955 apparut Jimmy Smith. Il se révéla comme le plus original des organistes du moment. Ancien pianiste, lui aussi, d’abord influencé par Wild Bill Davis, il modernisa le phrasé, sans atténuer pour autant la violence incantatoire. Afin d’en augmenter le pouvoir quasi hypnotique, il allongea considérablement la durée des improvisations. Son discours est le produit d’un mélange d’éléments empruntés à Charlie Parker et à Bud Powell et d’une tradition ancrée dans le fond du blues. Smith a été aussi influencé par des hard boppers tels que Horace Silver, Clifford Brown et Sonny Rollins, dans la mesure où il s’est imposé sur la scène du jazz, alors que les Jazz Messengers du batteur Art Blakey et toute une « écurie » de musiciens réunis par la firme de disques Blue Note (dont il faisait partie) imposaient une musique à la fois directe et savante, dansante et pensante, à laquelle convenaient parfaitement les sonorités et les moyens de l’orgue. À la suite de Jimmy Smith, nombre d’organistes devinrent célèbres durant les années 60 : Shirley Scott, Rhoda Scott, Johnny Smith, Paul Bryant, Jack McDuff, Jimmy McGriff, John Patton, Baby Face Willette, Richard Holmes, Freddie Roach, Don Patterson, Lonnie Smith, Lou Bennett, Doc Baby, Melvin Rhyne, qui tous pratiquent des styles assez voisins.

Plus proches de Bill Doggett, évoluant dans le domaine des petits orchestres de danse, partisans d’un jeu simple, voire simpliste et avant tout efficace, parfois accompagnateurs de vedettes de la « soul music » vocale, Dave « Baby » Cortez, Earl Van Dyke et Booker T. Jones eurent une influence indéniable sur des groupes blancs de « pop music », d’autant plus que certains de ces groupes s’efforçaient parfois de retrouver la tradition authentique du blues, notamment avec Brian Auger, Georgie Fame et Alan Price. À partir de 1965, l’orgue est présent dans presque toutes les formations « pop ». Plus accompagnateurs que solistes (sauf dans le cas de Keith Emerson du groupe The Nice, qui créa ensuite le Trio Emerson, Lake and Palmer), les plus connus de ces musiciens sont Al Kooper (des Blood, Sweat and Tears), Mark Stein (Vanilla Fudge), Matthew Fisher (Procol Harum), Rick Wright (Pink Floyd), Stevie Winwood (avec Jimi Hendrix et Traffic), Mike Pinder (Moody Blues), Dong Ingle (Iron Butterfly), Mike Ratledge (Soft Machine), Ray Manzareck (Doors) et Ron McKernan (Grateful Dead). Beaucoup plus attachés au jazz sont restés Larry Young et Eddy Louiss, qui, préoccupés par les tentatives d’avant-garde de Tony Williams et de Jean Luc Ponty, cherchent à intégrer l’orgue dans l’univers du free jazz. Néanmoins, depuis le début des années 70, le « synthétiseur » (fabriqué en particulier par Robert A. Moog), sorte d’hyper-orgue électronique dont le clavier permet la production et l’émission de tous les sons et timbres possibles, et qui convient particulièrement à l’obtention de cris et de bruits de sirènes, séduit des musiciens en quête de voies neuves, dans la mesure où ils estiment qu’une liberté sonore totale est nécessaire à leur travail.

F. T.