Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
O

orgue (suite)

Le retour à une esthétique classique ou néo-classique est une conséquence de la découverte, dans le monde entier, depuis 1850, de la littérature ancienne de l’orgue et du besoin qui se fait sentir d’interpréter les œuvres du passé sur un orgue dont la composition se rapprochera des ouvrages des célèbres théoriciens des xviie et xviiie s., tels Michael Praetorius (1571-1621), Andreas Werckmeister (1645-1706), Marin Mersenne* (1588-1648), dom François Bédos de Celles (1709-1779).

Après la Première Guerre mondiale, à la faveur d’un retour au grégorien, l’orgue va retrouver son rôle liturgique, paraphrasant les chants sacrés.

Une forme d’orgue néo-classique, visant à trouver une synthèse entre les dernières manifestations de Cavaillé-Coll et la composition de l’orgue à la fin du xviie s., tend à prévaloir dans le monde depuis 1930. De grands facteurs, à ce travail, savent acquérir une autorité certaine : Louis François Beuchet-Debierre (1842-1920), Victor Gonzalez (1877-1956), les Roethinger, Ernest Muhleisen (né en 1897), Alfred Kern (né en 1910), les Schwenkedel, Haerpfer et Erman en France ; les Walcker, les Klais, Paul Ott (né en 1903), les Schuke, les Steinmeyer, Rudolf von Beckerath (né en 1907) en Allemagne ; les Marcussen au Danemark ; les Flentrop en Hollande ; Skinner, Holtkamp aux États-Unis ; les Casavant au Canada. De nos jours, certains organistes veulent même abolir cette conception de l’orgue néo-classique, en décidant de revenir en arrière et de s’en tenir au véritable pastiche du xviiie s., ce qui paraît un non-sens voué à l’impasse ; car, depuis dix siècles, la facture d’orgues n’a cessé d’évoluer, toute génération — ce qui est logique — tentant d’améliorer le legs de la génération précédente.

Au moment où l’on reconstitue des orgues des xviie et xviiie s. tant en France qu’en Allemagne, certains facteurs construisent pourtant les plus vastes instruments qui soient au monde (6 ou 7 claviers ; 100 à 400 jeux) ; on les trouve aux États-Unis ou en Australie. À la même période, les orgues de salon se multiplient ; des positifs de un à huit jeux permettent à nombre d’amateurs d’étudier l’orgue chez eux. L’instrument a pénétré en Russie au xixe s., au Japon au xxe s. Dans nombre de pays, un service d’État a pris en charge la restauration des instruments présentant un intérêt historique. Dans le même temps, paraissent nombre d’ouvrages de musicologie sur l’évolution de la facture et de la littérature de l’orgue.


La musique d’orgue

On ignore tout des œuvres qui étaient jouées sur les orgues hydrauliques et sur les premières orgues pneumatiques en Occident jusqu’au xive s. Une première tablature d’orgue d’origine anglaise semble remonter au début du xive s. On transcrit pour orgue nombre de pièces polyphoniques hier confiées à des maîtrises. Peu à peu se constitue en Italie et en Espagne un répertoire liturgique, à côté duquel on peut relever certaines pièces d’origine chorégraphique ou de purs préludes improvisés.

S’ouvre alors une ère de l’orgue liturgique, qui prend fin dans les dernières années du xviie s. pour l’Église catholique et à la mort de J.-S. Bach pour l’Église réformée. Les organistes paraphrasent sur l’instrument de conception classique les thèmes grégoriens ou les chorals luthériens. Mais, ouverts aux bruits du moment, ces organistes, sans s’en douter, dotent peu à peu leur instrument d’un répertoire de concert qui finira par l’emporter à la faveur d’une virtuosité qui envahit nos tribunes. Cette musique d’orgue de concert s’installe en maîtresse en Europe à partir de 1760 et s’y maintiendra jusque vers 1920, notamment dans l’Église catholique romaine, car les pays germaniques, de Mendelssohn à Brahms et Max Reger, ont toujours persévéré dans le commentaire du choral.

Une ère nouvelle s’ouvre vers 1920 : on assiste à la renaissance de l’orgue liturgique, cet instrument vivant concurremment avec l’orgue de concert, jusqu’au jour où Vatican II et la nouvelle liturgie qu’il propose coupent les ailes aux chants grégoriens et à l’effort qui visait à inclure l’orgue dans le culte.

Dans cette histoire de la musique d’orgue, il est loisible de discerner trois périodes : celle que symbolisent quelques grands noms annonciateurs de Bach, celle qui a favorisé la créativité de ce génie hors cadre, celle qui assiste après Bach à la naissance d’un orgue symphonique.

Parmi les précurseurs de Bach, on peut citer, entre autres ceux qui, en une polyphonie instrumentale, visent à relayer la polyphonie vocale : Konrad Paumann (v. 1410-1473), Paul Hofhaimer (1459-1537), Hans Buchner (1483-v. 1538), Leonhard Kleber (v. 1495-1556), Hans Kotter (v. 1485-v. 1541) et nombre d’organistes parisiens publiés par Pierre Attaingnant vers 1530 et qui écrivent des versets commentant des motets polyphoniques, à l’heure où les Italiens se font les créateurs du ricercare (Adriaan Willaert* [mort à Venise en 1562], Claudio Merulo [1533-1604]), de la toccata, de la canzone, à l’heure aussi où les Espagnols Juan Bermudo, Tomás de Santa María († 1570) et surtout Antonio de Cabezón excellent dans le tiento ou dans les variations.

Le xviie s. demeure celui des prédécesseurs immédiats de Bach. Les écoles d’orgue internationales se multiplient à cette époque. Elles sont peut-être toutes redevables à J. P. Sweelinck* (1562-1621), celui qu’on a appelé « le faiseur d’organistes » d’Amsterdam, dont le message reflète un effort synthétique entre le contrepoint néerlandais, les recherches françaises et les variations anglaises. Son œuvre de clavier comporte des toccate, des fantaisies, des ricercari et des variations, dont ses disciples ont amplement profité, au premier rang desquels se place l’Allemand Samuel Scheidt (1587-1654) [Tabulatura nova].

En France, le xviie s. connaît deux écoles : celle des polyphonistes, qui s’en tiennent à la tradition et qui ont pour chef Jehan Titelouze (1563-1633), auteur de Recherches sur les hymnes religieux et le Magnificat. Dans ce domaine de l’écriture, Titelouze sera continué par Charles Racquet (v. 1590-1664), Louis Couperin (av. 1626-1661), François Roberday (1624 - av. 1672), Guillaume Nivers (v. 1632-1714) et Nicolas Lebègue (1631-1702). En revanche, l’école des concertistes est représentée, vers 1665-1699, par les Livres d’orgue d’André Raison († 1719), de Jacques Boyvin (v. 1653-1706), de Nicolas Cigault (1627-1707), de Louis Marchand (1669-1732), de Pierre Du Mage (v. 1676-1705), François Couperin* et Nicolas de Grigny* (1672-1703) l’emportent de beaucoup sur leurs maîtres, en des Livres qui réalisent une synthèse entre le verset polyphonique sur des thèmes grégoriens et des éléments plus profanes qui doivent au théâtre, à la danse, comme à la littérature de clavecin.