Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
O

orchestre (suite)

Déclin

À partir de 1945, le jazz évolue de plus en plus vite. Au « classicisme » des improvisateurs du « middle jazz », au folklore des pionniers néo-orléanais et de leurs suiveurs s’opposent les complexités harmoniques et rythmiques des boppers. Le public, en même temps — et cette tendance est révélatrice dans le New Orleans Revival —, préfère l’exploit spontané de l’improvisateur au travail de lecture des hommes de pupitre. Deux autres facteurs interviennent dans ce déclin des grands orchestres. Le premier est économique : seize musiciens coûtent plus cher que cinq ou six, et un grand nombre d’entre eux refusent des conditions de travail jugées d’autant plus dures qu’elles sont sans gloire. Le second est technique : avec les progrès de l’électronique, au niveau d’abord des micros, ensuite des instruments (guitare, basse, orgue et piano...), le petit groupe est en mesure de produire autant de décibels et même plus qu’un grand orchestre. Les oreilles du public, à partir de 1960, iront jusqu’à préférer le son amplifié (mis à la mode par les groupes de pop music) au son naturel.

Mis à part Duke Ellington et Count Basie, qui restent fidèles à leurs styles et continuent à parfaire leurs œuvres, les tentatives qui marquent les années 50 et 60, pour nombreuses qu’elles furent, n’ont pas débouché sur un véritable renouvellement du genre. Lionel Hampton*, par exemple, dirigea à partir de 1942 un ensemble destiné à servir d’écrin à ses solos et dont les pièces violentes et brutales, rythmiquement très accentuées, annoncent le rock and roll et ses exploits paroxystiques. Mais, par la suite, pour des motifs d’instrumentation électronique, la plupart des formations de rock and roll n’utilisent qu’un nombre réduit de musiciens, si l’on excepte celles qui accompagnent des vedettes du chant (tel James Brown), dont le caractère, entièrement soumis aux désirs des vocalistes, ne permet pas de leur accorder la personnalité morale de grand orchestre. Également à la fin des années 40, un certain nombre de chefs d’orchestres blancs tentent d’intégrer au sein d’arrangements pour grands orchestres les innovations des boppers et des coolers.

Dans cette direction, où il a recours au talent d’arrangeurs très différents, Stan Kenton réussit à passionner une partie du public. Alors que l’orchestre de Boyd Raeburn n’existe que fort peu de temps, celui de Woody Herman réussit à flotter sur toutes les vagues des modes.

D’autres chefs tentent de résoudre la contradiction mode-tradition. Parmi eux citons Claude Thornhill, Gil Evans, Don Ellis, Tommy Vig, Elliot Lawrence, Eddie Sauter-Bill Finegan. Ceux qui combineront avec le plus de bonheur le riff basien aux sonorités et aux harmonies du cool de la West Coast seront Terry Gibbs, Shorty Rogers et surtout Gerry Mulligan, avec son éphémère Concert Jazz Band.

On pourrait croire que Dizzy Gillespie a découvert le secret de l’adaptation au grand orchestre des nouveautés du be-bop*. Poursuivant une voie ouverte par Billy Eckstine, il crée en 1946 une formation qui obtient un succès considérable à Paris en 1948 ; mais, en dépit d’un excellent répertoire d’arrangements be-bop et afro-cubains, les conditions de survie ne seront pas réunies très longtemps. L’échec de Dizzy Gillespie ne décourage pas complètement les chefs noirs. Durant les années 50 et 60, Quincy Jones, Gerald Wilson, Thad Jones - Mel Lewis, Kenny Clarke-Francy Boland et Buddy Rich se lancent dans l’aventure du grand orchestre sans jamais réussir à s’imposer de façon permanente. Seul Ray Charles peut se vanter de diriger une grande formation régulière, mais c’est sa voix qui fait courir les foules. À partir de 1960, l’apparition du free* jazz complique encore les choses. Il y a opposition entre des conceptions qui exaltent la liberté absolue et les contraintes des arrangements écrits. Si Mike Mantler, Charlie Haden, Sun Ra et Alan Silva ont organisé des réunions qui, par le nombre des participants, ressemblent à des « grands orchestres », ces associations sont d’un tout autre genre que celui qui a été défini avec les « big bands » des grandes heures du « middle jazz ».

F. T.

 G. T. Simon, The Big Bands (New York, 1967 ; nouv. éd., 1971).


Quelques chefs d’orchestre de jazz


William, dit Count Basie,

pianiste, organiste et compositeur (Red Bank, New Jersey, 1904). Il accompagne des chanteuses (dont Bessie Smith et Clara Smith) avant de faire partie, à Kansas City, des Blue Devils de Walter Page, puis de l’orchestre de Bennie Moten. En 1935, après la mort de ce dernier, il regroupe quelques musiciens et crée un orchestre qui sera remarqué en 1936 par le critique John Hammond. C’est le départ d’une carrière qui l’impose comme le chef du meilleur grand orchestre de jazz (avec celui de Duke Ellington). De 1937 à nos jours, Count Basie reste fidèle à un style essentiellement fondé sur le phrasé de masse et l’emploi de riffs simples, écrits et exécutés dans le souci de l’efficacité, de la valorisation du swing et du blues instrumental. Au piano, son jeu est sobre, reposant sur l’expression à la main droite d’une ligne mélodique « économique ».

À l’écart des modes, il a su s’entourer, au fil des ans, de solistes et d’arrangeurs prestigieux : pour les saxophones, Lester Young, Buddy Tate, Don Byas, Illinois Jacquet, Paul Gonsalves, Eric Dixon, Eddie « Lockjaw » Davis ; pour les trompettes, Buck Clayton, Harry Edison, Clark Terry, Joe Newman ; pour les trombones, Benny Morton, Dickie Wells, Vic Dickenson, Jay Jay Johnson, Henry Coker, Al Grey ; pour les batteurs, Jo Jones, Gus Johnson, Sonny Payne, Rufus Jones ; pour les vocalistes, Jimmy Rushing, Joe Williams ; pour les arrangeurs, Eddie Durham, Hershell Evans, Jimmy Mundy, Buster Harding, Buck Clayton, Gerald Wilson, Earl Warren, Neal Hefti, Ernie Wilkins, Johnny Mandel, Frank Foster, Thad Jones, Nat Pierce, Benny Carter, Quincy Jones, Chico O’Farrill, Sammy Nestico.

Enregistrements : Swingin’ the Blues (1938), Jump the Blues away (1941), The Kid from Red Bank (album 1957).


James Fletcher Henderson,

chef d’orchestre de jazz (Cuthbert, Géorgie, 1898 - New York 1952). Il accompagne des chanteurs avant de former son orchestre en 1922.