Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

archéologie (suite)

La méthode stratigraphique consiste à établir l’ordre de succession des couches en les décapant progressivement l’une après l’autre, ce qui revient à remonter petit à petit le fil du temps. Un tel travail peut, en théorie, se faire sur toute l’étendue du site. C’est la fouille exhaustive, tentée par certains, jamais menée à bien : l’œuvre serait à la fois trop coûteuse et trop longue. Beaucoup plus souvent, le décapage ne porte que sur la surface restreinte d’un simple sondage. Celui-ci ne fournit peut-être pas de plans architecturaux très étendus, mais il permet d’atteindre rapidement et à peu de frais le but cherché, la succession chronologique des différents niveaux, cette chronologie relative qui, peut-être, pourra ensuite se transformer en chronologie absolue. Le souci de la stratigraphie d’un site est né des efforts des préhistoriens : dans les grottes ou abris-sous-roche, en coupe, les différents niveaux d’occupation, même si leur épaisseur est très mince, apparaissent avec netteté. Les tells du Proche-Orient, par exemple, collines artificielles résultant de l’entassement des vestiges de villages qui se sont succédé, se prêtent admirablement à une transposition de la méthode des préhistoriens. Cette structure d’un site archéologique n’est d’ailleurs pas spécifique du Proche-Orient : tout lieu habité de façon continue tend à s’exhausser.

L’observation rigoureuse de la succession des niveaux conditionne, en archéologie, tout le reste du travail. Toutefois un site n’est pas, contrairement à l’expression trop souvent employée, un livre dont on feuilletterait les pages l’une après l’autre. Les choses ne sont pas aussi simples. Les niveaux d’habitation ne sont nullement horizontaux ; des sols contemporains peuvent être à un ou à plusieurs mètres de différence en altitude. Par ailleurs, chaque niveau est en fait un ensemble complexe d’imbrications dont il faut retracer l’histoire. On a très souvent affaire à des « inclusions » qui se traduisent par une perturbation de l’ordre normal : si une tombe est creusée dans des niveaux antérieurs, l’archéologue inattentif risque d’enregistrer, au même niveau horizontal, des tessons très récents appartenant à cette tombe et des tessons bien plus anciens appartenant au terrain environnant. De même, l’implantation d’un mur antique commence souvent par le creusement d’une tranchée de fondation qui s’enfonce dans un terrain ancien : le fond de cette tranchée est donc de date beaucoup plus récente que le terrain dans lequel elle est creusée. Il n’y a pas de terrain « stérile » ; chaque centimètre de terre est la trace d’un événement archéologique : sol de terre battue, nivellement de ruines antérieures, fossé, puits, tombe, coulée de destruction... Chaque pan de mur peut avoir été détruit, reconstruit, partiellement réutilisé ; chaque porte peut avoir été, à un moment ou un autre, provisoirement bouchée, puis dégagée de nouveau. On rendra compte des phases de l’existence de tel ou tel bâtiment depuis la première tranchée de fondation jusqu’à l’abandon définitif. Les coupes de terrain cherchent donc à faire apparaître les écroulements successifs, les remblaiements, en un mot la petite histoire d’un secteur. La méthode stratigraphique est en quelque sorte une « archéologie des déblais ».

Mais ce problème de la fouille, relativement simple dans sa formulation, ne connaît pas de solution satisfaisante. Comment fouiller tout en comprenant, au fur et à mesure — et en sens inverse de son déroulement —, la succession de tous ces événements minimes, mais qui sont la clef du site, car ils en fournissent, peut-être, la datation ? Comment fouiller tout en enregistrant ce qu’on voit, de telle façon qu’on puisse, si besoin est, comprendre plus tard ou même corriger ce qu’on espérait acquis ? On le sait, l’archéologie, contrairement aux autres sciences, ne peut répéter l’expérience, car elle détruit son objet en l’étudiant : il faut faire disparaître pour aller plus loin, c’est-à-dire plus profondément. Il est donc nécessaire que les faits soient enregistrés aussi fidèlement que possible. Actuellement, les archéologues accordent leur faveur à la méthode des carrés : on établit sur le secteur qu’on désire examiner un quadrillage réel, délimitant des carrés séparés par des bermes de terre conservées provisoirement comme témoins. Les carrés, fouillés simultanément, permettent l’examen du site niveau par niveau. Mais le souvenir des différentes couches est conservé, de manière tangible et contrôlable, sur chacune des quatre parois du sondage, où se lit, en coupe, l’histoire du site. Cette méthode, sûre mais lente, offre d’autres avantages annexes : meilleures références pour l’enregistrement des objets dans les trois dimensions, meilleure circulation du personnel dans le chantier grâce aux bermes laissées en place, possibilité de développement rationnel et ordonné des travaux par extension du quadrillage. Si des problèmes subsistent, les bermes laissées en place peuvent être fouillées à leur tour. Sur les fouilles d’après guerre, l’emploi de cette méthode s’est généralisé. Elle est beaucoup plus sûre et précise que l’ancienne, qui se contentait essentiellement de « suivre les murs » pour faire apparaître les vestiges des bâtiments et le plan des édifices. Ce procédé rapide, donc dangereux, avait le défaut d’isoler irrémédiablement les murs de leur contexte stratigraphique. La seule possibilité de datation restait alors l’hypothétique découverte de dépôts de fondation. La méthode des carrés permet au contraire d’étudier en priorité le rapport entre les structures architecturales et leur contexte archéologique, et d’attribuer à tel niveau bien précis objets ou tessons. L’enchevêtrement des déblais et des murs devient l’objet privilégié de la recherche. La contrepartie en est une lenteur désespérante du travail. À ce rythme, le dégagement des grands ensembles architecturaux fouillés en Syrie et en Mésopotamie entre les deux guerres serait sans doute à peine ébauché. La méthode des carrés est particulièrement bien adaptée à la fouille d’exploration, qui cherche avant tout à établir une chronologie relative et à fournir des échantillons de matériel bien datés ; absolument nécessaire sur tout chantier dès qu’il s’agit d’une période ou d’un quartier du site dont on ignore tout, elle devient d’un maniement difficile dès qu’on se heurte à des bâtiments imposants.