Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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onde de choc (suite)

En photographiant un projectile — tel qu’une balle de fusil — animé d’une grande vitesse, le physicien autrichien Ernst Mach (1838-1916) obtint en 1885 des images où le projectile est accompagné d’un jeu de sillages ; ceux-ci furent identifiés plus tard à des ondes de choc qu’engendre dans l’air le projectile, qui se déplace à une vitesse supersonique : ces ondes apparaissent sur des photographies parce que, justement, la discontinuité des propriétés physiques de part et d’autre du front d’onde comprend une variation brusque de l’indice de réfraction de l’air. On a, par la suite, appelé nombre de Mach d’une onde de choc le rapport de sa célérité à la vitesse du son dans le milieu abordé par l’onde, et, par extension, le nombre de Mach d’un projectile ou d’un aéronef est le rapport de sa vitesse à celle du son.

En 1898 fut faite la première étude expérimentale d’ondes de choc dans les gaz par l’ingénieur français Paul Vieille (1854-1934). Celui-ci produisait ces ondes de choc dans de longs tubes en acier renfermant de l’air ou un autre gaz (hydrogène, dioxyde de carbone, etc.), soit par l’éclatement d’une ampoule dans laquelle de l’air était comprimé jusqu’à rupture de la paroi, soit par l’explosion d’une petite capsule de fulminate de mercure, et il enregistrait le passage de l’onde de choc en divers points du tube, dont la longueur pouvait atteindre 32 m, ainsi que la variation de pression au passage de l’onde : il put montrer que la célérité trouvée expérimentalement est bien égale à celle qu’on peut calculer par la théorie d’Hugoniot.

Dans les chocs très intenses, la température du gaz peut être de 5 000 à 10 000 °C ou plus. Alors, non seulement les molécules gazeuses sont dissociées, mais encore elles perdent des électrons : le gaz ionisé qui en résulte devient alors électriquement conducteur. À ces températures élevées, les gaz sont lumineux ; on doit à Henri Muraour (1880-1954) d’avoir prouvé, par tout un ensemble d’expériences, que les luminosités intenses observées lors de la détonation d’explosifs solides ou liquides ne sont pas celles de la flamme de l’explosif, mais qu’elles sont dues à l’onde de choc qui est lancée dans le gaz ambiant. La lueur qui accompagne les bolides a de même pour cause l’onde de choc que ceux-ci produisent en traversant l’atmosphère à très grande vitesse.


Ondes de choc dans les liquides

Des ondes de choc très intenses sont produites dans les liquides par la détonation d’une charge explosive immergée : dans l’eau de mer, on peut ainsi créer des ondes se propageant avec une célérité de 5 km/s pour une intensité de choc de 50 kbar, ce choc échauffant sur son passage le liquide à 150 °C. Lorsqu’une telle onde de choc atteint la surface, la vitesse considérable des molécules a pour effet de les lancer verticalement, produisant une intumescence de la mer. Au laboratoire, on a pu étudier les ondes de choc dans des liquides variés ; sous l’effet de la pression et malgré l’élévation de température, certains liquides, comme le tétrachlorure de carbone, se solidifient au passage de l’onde.


Ondes de choc dans les solides

Des ondes de choc sont produites dans les corps solides soit par le choc d’un autre corps à grande vitesse, soit par l’application quasi instantanée de la pression énorme — dépassant 100 kbar — que produit un explosif détonant au contact d’un solide. C’est par ce second moyen que Bertram Hopkinson (1874-1918) put, le premier, en 1912, étudier les ondes de choc dans les corps solides. Lorsque ce type d’onde, qui est une onde de compression, parvient, après avoir traversé le solide, sur une surface en contact avec l’atmosphère, elle se réfléchit et devient une onde de traction, entraînant soit une fissure interne, soit une rupture complète d’une couche de solide, qui est lancé dans le sens de l’onde de compression. Ce phénomène, que l’on observe sur les plaques de blindage, a reçu le nom d’écaillage.


Permanence des ondes de choc

Une onde de choc ne peut garder constants ses caractères (célérité, intensité, etc.) que si, derrière le front de l’onde, il y a un apport continu d’énergie ; il en est ainsi dans la détonation des explosifs, parce que la réaction chimique exothermique qui s’y effectue fournit l’énergie nécessaire. Si l’on considère les ondes de choc pur, c’est-à-dire les ondes qui ne sont pas accompagnées d’une réaction exothermique, seul le cas d’une onde de choc entretenue dans un gaz par un mobile à vitesse supersonique montre une onde permanente. Dans les autres cas, et en particulier dans l’onde de choc qu’engendrent, dans le milieu ambiant, des charges qui explosent, il se produit un amortissement, c’est-à-dire une décroissance continue de l’intensité et de la célérité de l’onde au fur et à mesure de sa propagation ; l’onde finit par perdre son caractère de choc pour devenir une onde ordinaire se propageant à la vitesse du son.

Dans le cas de l’onde de choc sphérique, tant dans un milieu gazeux que dans un liquide, la différence de pression de part et d’autre du front d’onde diminue à peu près comme l’inverse de la distance au centre où l’onde de choc a pris naissance ; les ondes de choc planes, comme celles que l’on sait produire dans des tuyaux cylindriques, s’amortissent moins vite que les ondes sphériques.


Applications

Les ondes de choc jouent un rôle important en aérodynamique ; leur formation autour d’ailes d’avion ou de maquettes peut être étudiée dans les grandes souffleries. Mettant à profit la température élevée qui règne derrière le front d’une onde de choc gazeuse, on a mis au point, pour l’étude de la pyrolyse des gaz et des vapeurs, des appareils appelés tubes à choc, dans lesquels le milieu gazeux étudié est soumis à une onde de choc calculée pour le porter à la température désirée par exemple de 2 000 à 3 000 °C.

L. M.

 R. H. Cole, Underwater Explosions (Princeton, 1948 ; nouv. éd., New York, 1965). / H. Kolsky, Stress Waves in Solids (Oxford, 1953). / J. K. Wright, Shock Tubes (Londres, 1961). / G. F. Kinney, Explosive Shocks in Air (New York, 1962). / A. L. Jaumotte (sous la dir. de), Chocs et ondes de choc, t. I : Aspects fondamentaux (Masson, 1971).