Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
O

océan (suite)

Chaîne alimentaire production animale

La notion de chaîne alimentaire découle naturellement de l’examen du cycle de la matière organique exposé de façon schématique au début de cet article. Voyons d’un peu plus près sa structure.

La photosynthèse fabrique le premier maillon, la matière végétale, sur lequel tous les autres vivent en parasites directs (phytophages) ou indirects (carnivores). Mais, alors que tous les phytophages occupent le même niveau trophique (production animale primaire), les carnivores sont distribués en un chapelet (production secondaire, tertiaire...) dans lequel la position d’un élément est conditionnée par celle de sa proie. Un consommateur de phytophages est un carnivore au premier degré, un consommateur de carnivores au premier degré est un carnivore au second degré... Un carnivore ayant un régime mixte devient difficile à situer. Un omnivore pose des problèmes insolubles.

L’édification de matière vivante de plus en plus spécialisée porte le nom d’anabolisme, le processus inverse celui de catabolisme. Ces deux phénomènes interviennent simultanément à chaque instant comme à chaque niveau. La chaîne alimentaire ne part donc pas d’un point pour aboutir en ligne droite à un autre point, mais s’infléchit sur elle-même en une succession de cycles de plus en plus complexes (fig. 4).

Malgré le nombre des ses voies et de ses bifurcations, le schéma général de synthèse et de destruction de la matière vivante est facile à saisir. Les difficultés surgissent dès qu’on cherche à le quantifier, autrement dit quand on tente d’évaluer la production aux différents niveaux. Il faut alors simplifier, avec tout ce que cette mesure entraîne d’approximations et d’incertitudes, et bien sûr en admettant la fragilité des résultats acquis par cette méthode de travail. Les écologistes en sont ainsi arrivés à considérer la chaîne alimentaire comme linéaire dans sa fraction anabolique, c’est-à-dire à postuler que chaque maillon vit uniquement aux dépens du maillon qui le précède.

L’idée de chaîne implique une dépendance et une continuité, mais ne rend pas compte du volume ni du poids relatif des maillons successifs les uns par rapport aux autres. Or, aucune machine, fût-elle très perfectionnée, ne fonctionne jamais avec un rendement de 100 p. 100, et l’on sait que les êtres vivants sont d’assez mauvais transformateurs. Les maillons vont donc en s’amenuisant. Plus qu’à celle d’une chaîne, c’est à l’image d’un entassement de solides de plus en plus petits qu’il convient de faire appel pour figurer quantitativement les différents niveaux de la synthèse anabolique. On réalise ainsi une pyramide appelée pyramide des productions (fig. 5).

Le taux de transfert pour passage d’un niveau au niveau immédiatement supérieur comporte en fait deux composantes :
— le coefficient écotrophique (E), c’est-à-dire le pourcentage de la production d’une espèce-proie consommé par l’espèce prédatrice ;
— le coefficient de conversion (K), c’est-à-dire le rapport accroissement de poids du prédateur/poids de la proie ingérée.

On estime la valeur de ces deux coefficients à partir d’expériences de laboratoire et d’observations faites en aquariums, en bassins expérimentaux, en bassins d’élevage intensif, dans la nature elle-même. W. E. Ricker (1969) retient les moyennes suivantes :
— passages végétaux/phytophages, K = 15 p. 100 ; E = 66 p. 100 ;
— passages ultérieurs, K = 20 p. 100 ; E = 75 p. 100.

Là aussi, des synthèses ont été tentées. Elles partent des mêmes données de base (évaluations récentes de la production primaire qui, nous l’avons vu, sont assez concordantes), divergent en cours de route en raison des valeurs différentes choisies pour la combinaison KE, mais aboutissent assez paradoxalement à des valeurs sinon égales, du moins relativement proches, au niveau des carnivores de deuxième degré, parce que des phénomènes de compensation interviennent en cours de route. Exprimés en poids vif (on passe chez les Poissons du poids de carbone au poids vif en multipliant le premier par un coefficient voisin de 10), ils ont été par commodité rassemblés en un tableau (tableau I).


Fraction utile de la production

Dans une assimilation très schématique des grands groupes écologiques aux niveaux du tableau I, on peut admettre que :
— végétaux = phytoplancton, pratiquement inexploité et difficilement exploitable ;
— phytophages = zooplancton, presque inexploité mais exploitable sous certaines formes (Crustacés) et dans certaines conditions (fortes concentrations) [fig. 6] ;
— carnivores 1 = Poissons type Clupéidés, fortement exploités, mais en majorité livrés aux industries de transformation (farines) ;
— carnivores 2 = Poissons type Gadidés, Scombridés, etc., fortement exploités et directement consommés.

L’Homme couronne la pyramide au niveau carnivores 3. Il s’alimente donc théoriquement sur des ressources dont la production est de l’ordre de 400 à 450 Mt par an (moyenne des chiffres Ricker et Schaefer). Est-ce dire que la totalité de ce tonnage soit à sa disposition ?

Produit ne veut pas dire « disponible ». Il faut épargner les géniteurs, qui assureront l’avenir. Disponible ne signifie pas « utilisable ». Il faut éliminer les éléments qui, pour des raisons quelconques (toxicité par exemple), ne sont pas consommables. Il faut renoncer à capturer ceux qui vivent dans des conditions telles qu’on ne peut et qu’on ne pourra sans doute jamais les atteindre si ce n’est pour des buts scientifiques et sans tenir compte de leur prix de revient. L’accessibilité est étroitement liée non seulement aux caractéristiques écologiques des espèces exploitées (ou qu’on envisage d’exploiter), mais aussi à l’état d’avancement des techniques et aux avatars des structures économiques. Enfin, remonter la chaîne pour puiser à un niveau plus avantageux provoquerait un changement radical dans la gamme des produits offerts à la consommation, produits dont l’acceptabilité ne serait pas obligatoirement assurée et qui entraîneraient probablement une perturbation de l’équilibre biologique dont il est impossible de prévoir les conséquences.