Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
N

Nubie (suite)

Vers 3200 av. J.-C., tandis que l’histoire d’une Égypte unifiée s’ouvre avec Ménès (Narmer ?), la Nubie connaît la culture dite « du groupe A » (selon la terminologie de l’Américain G. A. Reisner), avec une jolie poterie assez fine, à décor incisé, d’une grande variété de matières et de formes. Les objets égyptiens sont relativement abondants (vases, armes de cuivre). La Nubie offre l’appât de ses richesses minières (or et pierres dures) ; c’est aussi la voie vers l’Afrique intérieure, d’où proviennent ivoire et ébène ainsi que l’encens, les peaux de panthère et les plumes d’autruche nécessaires au culte égyptien. Vers 2400, on a la preuve d’une installation égyptienne permanente à Bouhen, avec fonderie de métaux. Cependant, tandis que la culture proprement nubienne s’appauvrit, la résistance à l’Égypte s’accroît. Certains de ces conflits sont manifestes dans les inscriptions funéraires des gouverneurs du nome d’Assouan, qui organisaient des expéditions commerciales ; plusieurs hardis explorateurs sont connus : Ourdjedba, puis Hirkhouf, qui, lors de sa quatrième expédition, ramena jusqu’à la Cour, sain et sauf, un nain danseur.

L’installation en Basse-Nubie de la culture du « groupe C » est contemporaine de l’affaiblissement de l’Égypte à la première période intermédiaire (v. 2280 av. J.-C. - v. 2050) ; c’est une culture indigène qui durera environ sept siècles, jusqu’à l’annexion coloniale de la Nubie par l’Égypte au début du Nouvel Empire. Elle est essentiellement pastorale : de nombreuses gravures rupestres de cette époque figurent des capridés et des bovidés avec pendeloques jugulaires et souvent cornages déformés, d’un art réaliste. Les coutumes funéraires sont originales : le défunt, enveloppé d’une peau de bête, garde auprès de lui des objets personnels (armes, amulettes). À l’extérieur de la tombe, ronde, en pierres sèches, on trouve des bols et des coupes ainsi que des crânes d’animaux parfois peints, dont les cornes ont été déformées artificiellement. Une très belle poterie caractérise ce « groupe C », à décors variés, incisés, souvent géométriques, imitant la vannerie, parfois soulignés de blanc.

Le long du Nil, sur lequel pèse la menace des pasteurs du « groupe C », les Égyptiens, au cours du Moyen Empire (v. 2052 - v. 1770), s’assurent le passage par une suite de puissantes forteresses jusqu’à Semna, au cœur de la deuxième cataracte, où se trouve leur frontière méridionale. Au-delà, dans le riche bassin de Dongola, Kerma semble avoir été le centre d’un royaume indépendant — celui que les documents égyptiens désignaient comme Koush (ou Couch). Dans des tombes opulentes, autour des dirigeants, étaient sacrifiées de nombreuses victimes humaines, jusqu’à trois cents personnes ; on y a retrouvé d’abondantes importations égyptiennes : belles statues, vases d’albâtre.

Avec la décadence de la seconde période intermédiaire (v. 1770 - v. 1560), le pouvoir pharaonique connaît de nouveau une éclipse ; les princes de Kerma, qui se sont étendus en Basse-Nubie, emploient à Bouhen des Égyptiens à leur service. Ils sont sollicités par les Hyksos pour faire alliance contre la principauté thébaine. Mais Kamosis, puis Ahmosis (v. 1560), avec qui commence le Nouvel Empire, réussissent à chasser les Hyksos d’Égypte et entreprennent aussitôt la conquête du Sud. Ahmosis atteint Bouhen. Thoutmosis Ier parvient à franchir la troisième cataracte. Kerma est soumise. Peut-être, dès lors, les Égyptiens ont-ils poussé jusqu’au sud d’Abou-Hammed, aux limites de la steppe soudanaise, atteignant ainsi, pour la première fois dans l’histoire égyptienne, l’Afrique noire. Le grand centre est alors Napata, au pied du Gebel Barkal, en aval de la quatrième cataracte. La puissance impériale égyptienne développe un art d’exotisme colonial ; la Nubie flatte le goût du pittoresque et du merveilleux. Mais il y a aussi moquerie et dépréciation : une stèle d’Aménophis III montre un Nègre à genoux sous la queue relevée d’un cheval, dans une posture désagréable ; les cannes royales, telles celles de Toutankhamon, laissent traîner des bustes de Nègres dans la poussière ; les ennemis du Sud figurent en rangées de captifs sur les bases des statues. Malgré quelques révoltes locales, l’administration de la vice-royauté de Nubie est ferme sous la direction du « fils royal de Koush ». De nombreux sites s’échelonnent le long du Nil : grand temple jubiliaire de Soleb, édifié par Aménophis III (v. 1408 - v. 1372) ; à une quinzaine de kilomètres plus au nord, à Sedeinga, temple de la reine Tii (Tiy), son épouse. Le même principe du double temple masculin et féminin sera repris par Ramsès II (v. 1298 - v. 1235) à Abou-Simbel. L’or de Nubie grossit le trésor égyptien, ainsi que les produits exotiques africains : bois, parfums ; aux animaux exotiques (singes, girafes), il faut joindre d’abondants troupeaux de bestiaux divers. Les princes locaux, aux noms égyptiens, se font inhumer à l’égyptienne. La population nubienne, elle, constitue surtout un réservoir de main-d’œuvre : travailleurs de toute sorte, militaires et surtout policiers. À la fin du Nouvel Empire, les troupes de Nubie pèsent lourdement sur la politique intérieure de l’Égypte. Il semble qu’alors la Basse-Nubie soit appauvrie, en raison peut-être d’un abaissement du Nil dû à un dessèchement ; entre 1100 et 750, c’est le silence total en Nubie : le lien entre le monde méditerranéen et l’Afrique semble coupé.

Au milieu du viiie s., un pouvoir fort se reconstitue à Koush ; les princes en sont des Nubiens sans doute mêlés de sang nègre. Ayant affermi leur pouvoir dans le bassin de Dongola avec Napata pour capitale, ils vont conquérir l’Égypte. Vers 730, Peye (Piankhi) mène en Égypte une expédition célébrée par sa grande stèle de la victoire (musée du Caire). À Thèbes est installée comme divine adoratrice d’Amon Aménardis, fille de Kachta et sœur de Peye. En 716, Chabaka, frère de Peye, monte sur le trône et soumet à l’Empire koushite la vallée entière du Nil. Lui-même et ses successeurs, Chabataka (701-690), puis Taharqa (690-664), règnent sur la double monarchie du Soudan et de l’Égypte, où ils constituent la XXVe dynastie, dite « éthiopienne ». S’opposant à la poussée des Assyriens, ils restaurent en Égypte la religion amonienne et les arts selon les modèles anciens. Ils tendent à se présenter comme de vrais Égyptiens, même si certains de leurs attributs sont quelque peu exotiques (ornement de têtes de béliers). Tanoutamon (664-656) est le dernier souverain de cette lignée régnant sur l’Égypte ; vers 663, Thèbes tombe sous l’assaut de l’Assyrien Assourbanipal. Tandis que l’Égypte se tourne définitivement vers la Méditerranée, la Nubie redevient totalement africaine.