Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
N

nouvelle (suite)

L’influence de la nouvelle espagnole en France est décisive. Elle ne contribue pas seulement, comme on l’a vu, à changer la signification même du mot. Accentuant l’évolution amorcée avec Belleforest et Boaistuau, Jacques Yver et les autres, elle fait de la nouvelle un petit roman dramatique, commençant souvent in medias res, raconté parfois à la première personne — notamment dans la formule des nouvelles intercalées dans un roman, que Scarron pratique dans le Roman comique —, contenant ordinairement le récit d’un amour contrarié. C’est ce qui apparaît notamment dans les Nouvelles françaises de Charles Sorel (1623), dans les Nouvelles tragi-comiques de Scarron (1655-1657), enfin dans les Nouvelles héroïques et amoureuses de Boisrobert (1657), enfin dans les Nouvelles françaises ou les Divertissements de la princesse Aurélie de Segrais (1657). Comme le dit ce dernier auteur, le propre de la nouvelle, par rapport au roman, est de « tenir davantage de l’histoire et s’attacher plutôt à donner les images des choses comme d’ordinaire nous les voyons arriver que comme notre imagination nous les figure ». La nouvelle, genre proche de l’« histoire », attachée au réel ou à l’imitation du réel, s’oppose aux « imaginations » des romans.


La ruine du roman et le triomphe des « petits genres »

Alors que la décennie 1650-1660 avait semblé, avec les œuvres de Mlle de Scudéry, consacrer le triomphe du grand roman à épisodes, les dix années suivantes en marquent la disparition et le remplacement par des œuvres relevant des nouveaux genres issus de la nouvelle. Dès 1658, on voit paraître la première nouvelle isolée, l’Amant ressuscité, d’Ancelin. Elle est suivie en 1662 de la Princesse de Montpensier de Mme de La Fayette, qualifiée aussi de « nouvelles » par Sorel, une brève et mélancolique histoire d’amour dans un cadre historique sobrement esquissé, l’époque d’Henri III. Comme le remarque alors Sorel dans sa Bibliothèque française : « Beaucoup de gens se plaisent davantage au récit naturel des aventures modernes, comme on en met dans les histoires qu’on veut faire passer pour vraies, non pas seulement pour vraisemblables. »

Étendue dès lors aux dimensions d’un « petit roman », la nouvelle, qu’on dit parfois « galante » ou « historique », se confond presque avec l’« histoire » : leur sujet est souvent un amour traversé par le destin et finissant plus ou moins tragiquement. Le cadre moderne, la brièveté de l’œuvre, l’impression de vérité se trouvent même dans des œuvres qu’on ne serait pas tenté à première vue de mentionner ici, comme les Lettres portugaises de Guilleragues (1669), que l’on pourrait définir comme une « nouvelle par lettres ». Dom Carlos (1673) et Conjuration des Espagnols contre la république de Venise, en l’année 1618 (1674) de Saint-Réal (1639-1692) sont des nouvelles historiques développées, et la Princesse de Clèves (1678) passe aux yeux des contemporains pour « nouvelle historique » ou « nouvelle galante ».


De la nouvelle au « nouveau roman »

De tous les ouvrages dont il vient d’être question, aucun ne porte, à l’époque, le nom de roman. C’est pourtant bien de cela qu’il finit par s’agir. Certes, nous n’avons plus affaire aux romans immenses, de deux ou trois mille pages, emplis d’aventures romanesques se déroulant dans une antiquité de convention. Mais les nouvelles sont passées de deux ou trois pages à la fin du xve s. à cent ou deux cents dans la première moitié du xviie ; elles atteignent maintenant trois, quatre cents pages ou même davantage. On y trouve des sujets complexes, des personnages multiples, une technique élaborée. Le romanesque subsiste, mais affiné. Il n’est pas étonnant que le terme de petit roman apparaisse pour désigner de telles œuvres. Déjà, dans sa Bibliothèque française, Sorel avait observé que les « nouvelles qui sont un peu longues et qui rapportent des aventures de plusieurs personnes ensemble sont prises pour de petits romans ». Un genre nouveau s’est constitué, qui contient en lui l’avenir du roman français pour un siècle au moins. La théorie en fut faite dès 1683 par un auteur de nouvelles, le sieur Du Plaisir, dans un ouvrage intitulé Sentiments sur les lettres et sur l’histoire, avec des scrupules sur le style.

Fondée surtout sur les œuvres de Mme de La Fayette, la thèse de Du Plaisir définit le « nouveau roman », ainsi qu’il l’appelle, en faisant alterner ce mot avec celui d’histoire, par la brièveté (un ou deux tomes), la vraisemblance matérielle et morale, un cadre moderne, une action « légère », mais permettant de « faire valoir une petite circonstance » par laquelle l’écrivain « caractérisera fortement et d’une manière sensible » les sentiments de ses personnages, l’insertion judicieuse de réflexions et de brèves maximes, enfin le détachement de l’auteur, que Du Plaisir appelle le désintéressement.


Histoire, conte et roman au xviiie siècle

Il n’est plus guère question de nouvelles au xviiie s., mais d’histoires. Il s’agit d’un genre largement indigène, mais qui a subi l’influence des Histoires tragiques de Bandello dans leur adaptation française, de la nouvelle à l’espagnole et qui conserve souvent un trait caractéristique de la nouvelle à l’italienne, l’encadrement. Celui-ci peut, à l’exemple de l’Heptaméron, tisser entre les différentes « histoires » des liens étroits — comme dans le beau recueil des Illustres Françaises (1713), de Robert Challes (1659 - v. 1725), chef-d’œuvre oublié de l’art narratif français, qui porte en germe des œuvres aussi diverses que celles de Prévost, de Laclos, de Balzac et de Stendhal — ou se limiter à une présentation initiale et à quelques rappels de la situation du narrateur — comme l’Histoire du chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut de l’abbé Prévost (1731), rattachée aux Mémoires et aventures d’un homme de qualité (1728-1731), ou l’« Histoire de Tervire » aux livres IX, X et XI de la Vie de Marianne de Marivaux. L’on voit par ces exemples que l’histoire n’est pas hétérogène au roman nouveau, puisqu’elle peut comporter les mêmes personnages, un cadre semblable et un style assez peu différent, quoique le narrateur soit ordinairement l’un des personnages et non le romancier. Quant au genre narratif bref, il ne disparaît pas, mais il faut le chercher sous le nom de conte. Contes de fées, contes orientaux, contes allégoriques, contes philosophiques fleurissent tout au long du siècle. Ils n’appartiennent pas en eux-mêmes à notre propos. Ce n’est qu’avec les Contes moraux de Marmontel (1763) que l’on pressent la renaissance d’un genre bref, dramatique, impliquant une pluralité d’œuvres se faisant réciproquement valoir par certains contrastes de ton. La nouvelle de Mérimée, celle de Maupassant se profilent au loin. Mais telle est ici l’importance de la révolution romantique à l’échelle européenne que les nouveaux apports effacent presque l’image primitive du genre.

F. D.

➙ Conte.