Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Nigeria (suite)

Les Yoroubas occupent dans le Sud-Ouest une situation prédominante par leur importance numérique (6 millions d’hommes) et par le rayonnement de leur ancienne civilisation. Le témoignage le plus significatif du caractère évolué de cette civilisation est le développement urbain. Le pays yorouba présente une concentration insolite d’importantes agglomérations : 136 cités de plus de 5 000 habitants (dont 7 dépassent 100 000 hab.) regroupent plus de la moitié de la population. Fait exceptionnel en Afrique noire, les villes sont d’essence précoloniale, et leur création procède d’une évolution interne des institutions. L’expansion peule et les guerres esclavagistes qu’elle a suscitées en pays yorouba après la désagrégation de l’ancienne fédération étatique ont réanimé le processus d’urbanisation au xixe s. Les villes sont nées du besoin d’un peuple de poursuivre ses activités agricoles à la périphérie de cités capables d’assurer, derrière leurs remparts, la protection des paysans. Ces villes semi-rurales sont habitées par une forte proportion de paysans. La personnalité du pays yorouba est renforcée par l’économie moderne, puisque ce pays coïncide avec l’aire de production du cacao. L’apparition des petites plantations paysannes à partir de 1905 s’est faite par contamination de l’économie coloniale, et leur réussite est liée à l’esprit d’entreprise des Yoroubas. Cette expansion économique spontanée, qui s’est accompagnée du maintien d’une agriculture vivrière aux mains des femmes, assure aux paysans yoroubas un niveau de consommation inconnu dans le reste du Nigeria.

Les Ibos ont taillé dans la forêt du sud-est du Nigeria un terroir qui peut porter des densités voisines de 500 habitants au kilomètre carré. Cette surprenante accumulation d’hommes ne se justifie pas par les faveurs du milieu naturel. Mais la forêt a servi, face aux Peuls, de refuge à une population nombreuse, qui l’a efficacement aménagée : une agriculture intensive sans jachère donne des rendements élevés d’ignames, et la palmeraie jardinée livre des produits commercialisables. L’émiettement de l’habitat révèle un individualisme forcené, et chaque hameau abrite une famille étendue, unité sociale de base. Mais cet individualisme est tempéré par un réseau d’associations qui donne au peuple ibo sa cohésion. Ce système de relations a été extrêmement perméable aux influences extérieures. L’épuisement des sols a acculé une partie de la population à l’émigration, que favorisent l’absence de racines sociales contraignantes et une grande faculté d’adaptation. Cette « diaspora » ibo a mis en place dans tout le pays d’importantes minorités de cadres. Le découpage fédéral de 1967 faisait perdre aux Ibos les gisements pétrolifères de la région de Port Harcourt, qui eussent constitué le fondement économique de l’indépendance du Biafra*, mais la confusion Biafra-Iboland méconnaît l’existence de 40 p. 100 de non-Ibos dans l’ancienne région orientale.

L’unité de ces trois régions repose sur la spécificité ethnique, les fortes densités relatives, l’adaptation au cadre naturel, mais ces grands ensembles sont isolés dans un magma de minorités. Aussi, la création de douze États en 1967 est-elle plus conforme aux réalités ethniques, qui pèsent d’un poids fondamental.


Une économie en mutation

Elle conserve les caractères de l’économie de traite sous la forme élémentaire de l’exploitation et de la commercialisation des ressources naturelles. La quasi-totalité des exportations est constituée par des matières premières (pétrole, cacao, arachide). Mais ces exportations sont plus diversifiées que celles de la plupart des pays africains, et, de ce fait, le Nigeria est moins tributaire des fluctuations de cours sur les marchés internationaux. Cependant, la structure des importations fait apparaître une différenciation moindre (produits manufacturés, essentiellement). C’est là le lointain héritage du monopole économique confié au xixe s. à une compagnie commerciale (la Royal Niger Company) pour l’exploitation des ressources naturelles, qui s’était substituée à la traite des esclaves. Mais le passé colonial a légué au Nigeria indépendant deux instruments propres à soutenir son essor économique : une infrastructure de communications et des organismes de commercialisation. Le Nigeria a, en effet, été doté d’un réseau routier planifié et relativement étendu, quoique des régions entières du Nord et du Centre demeurent enclavées (80 000 km de routes, dont près de 15 000 sont asphaltés, et 200 000 km de pistes) ; le réseau ferroviaire, le plus long d’Afrique noire (3 500 km), est dominé par deux artères principales, créées pour drainer les ressources de l’intérieur et branchées sur les deux grands ports de Lagos-Apapa et de Port Harcourt. La création des marketing boards est une mesure de circonstance que les contraintes de l’économie de guerre ont imposée au gouvernement britannique, et ces « bureaux de vente » ont été conservés après la guerre. Par le contrôle qu’ils exercent sur les trois quarts des produits agricoles exportés (cacao, arachide, coton, etc.), ils ont brisé un des maillons de l’économie de traite en se substituant aux firmes d’import-export et ils protègent les producteurs contre les aléas du marché international.

Au lendemain de l’indépendance, le Nigeria s’est doté d’un plan de développement (1962-1968) dont les objectifs ont été atteints : le taux de croissance s’est élevé à 4,7 p. 100 de 1963 à 1967 et à 4,1 p. 100 de 1967 à 1971, tandis que, parallèlement, la consommation individuelle ne connaissait qu’un accroissement de 1 p. 100 ; en ne permettant qu’une lente amélioration du niveau de vie, le gouvernement s’attachait à dégager l’essentiel des ressources pour de nouveaux investissements. Le deuxième plan quinquennal (1970-1974), comme le premier, est défini comme un plan d’infrastructure, mais il intègre un programme de reconstruction. Son objectif est également moins de financer un niveau croissant de consommation intérieure que d’accroître la capacité productive de l’économie. Tout semble indiquer que celle-ci est sur la voie d’une remise sur pied, comme le montrent l’augmentation de l’indice de la production industrielle, la capacité croissante de l’industrie et le haut niveau des affaires. Les structures de l’économie connaissent une mutation : l’agriculture tend à perdre la première place au profit des activités de transformation et d’extraction.