Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
N

Néron (suite)

Néron monté sur le trône, sa mère entend gouverner et ne pas se contenter des apparences d’un pouvoir qu’elle a eu tant de mal à obtenir. Elle élimine tous ceux qui ont contrarié ses plans, donne audience aux ambassades, assiste aux séances du sénat. Mais très vite ce sont les premiers heurts avec son fils, qui s’émancipe et redoute cette femme autoritaire. Le meurtre de Britannicus la bouleverse. Peu de temps après, Néron, qui se méfie à juste titre de ses intrigues, lui enlève sa garde. D’après Tacite, la liaison du prince avec Poppée aurait précipité les événements : Poppée, qui voulait devenir impératrice, aurait poussé Néron à se débarrasser de sa mère, favorable à Octavie. L’empereur, jugeant insupportable la tutelle maternelle, décide d’en finir. Il la fait exécuter dans sa villa de Bauli, près de Baïes, à la suite d’une fête nautique donnée en l’honneur de Minerve (oct. 59).


Les débuts d’un règne

C’est avec une indéniable conscience que le nouvel empereur, conseillé par Sénèque et par Burrus, le préfet du prétoire, va au début de son règne exercer son métier de souverain. Après les premiers gestes d’apaisement politique, il se rapproche du sénat et revient aux pratiques constitutionnelles d’Auguste. Il procède à un certain nombre de réformes : allégement de la fiscalité, contrôle plus strict des publicains, réorganisation de la justice (mesures contre l’arbitraire des juges, nouvelle législation sur les dénonciations), protection des particuliers contre les abus de pouvoir des gouverneurs de province, association des provinciaux aux privilèges de la capitale, adoucissement du sort des esclaves. Pour les Romains semble s’ouvrir un véritable âge d’or que complète à l’extérieur une heureuse politique de conquête ou d’apaisement (conquête de l’Arménie par Cneius Domitius Corbulo en 58-59 ; en Bretagne, écrasement de la révolte de Boudicca par Caius Suetonius Paulinus en 61).

Aussi Rome ferme-t-elle les yeux sur la vie privée du prince, qui annonce pourtant déjà des penchants inquiétants. On ne s’indigne pas outre mesure quand on le voit, déguisé en esclave, parcourir la nuit les mauvais lieux de la capitale ou rosser les passants. Les sombres intrigues de palais ne soulèvent pas non plus l’émotion : le meurtre de Britannicus (55), empoisonné par Néron, qui voyait en lui un danger permanent pour son autorité, laisse le peuple indifférent. La liaison de l’empereur, dès 58, avec Poppée, alors très populaire, est accueillie favorablement, tout comme on apprécie fort ses exhibitions de cocher et de chanteur. L’assassinat d’Agrippine (59) ne provoque aucun remous, tant l’impératrice s’est aliéné l’opinion par sa politique de vengeance.


Ombres sur l’Empire

La mort de Burrus (62) et, la même année, la disgrâce de Sénèque marquent un tournant du règne. Jusque-là, les deux ministres avaient pu gouverner l’Empire avec sagesse et tant bien que mal tempérer les néfastes instincts de Néron. Leur disparition laisse le champ libre au prince, qui, n’étant plus soumis à aucune tutelle, va progressivement s’engager dans la voie des crimes et des folies. Fait capital, il remet en vigueur la loi de majesté qui lui permet d’intenter procès sur procès et de s’approprier les biens des condamnés. Burrus est remplacé par le favori Tigellin, qui, préfet du prétoire, va se révéler le mauvais génie du régime. Après avoir chassé Octavie, Néron épouse Poppée ; Octavie, reléguée dans l’île de Pandateria, est mise à mort (62). Des fêtes somptueuses où, à en croire Tacite, l’extravagance rivalise avec la débauche, sont données dans les jardins impériaux. La haute société romaine, dont les membres les plus influents reçoivent l’ordre de mourir sous des prétextes futiles, n’ose pas encore se révolter contre la sanglante tyrannie de l’empereur.

Dans la nuit du 17 au 18 juillet 64, un immense incendie ravage la capitale : près de 20 p. 100 de la ville, tout le centre de Rome* — soit les quartiers populeux —, disparaissent dans la catastrophe. En dépit des mesures rapidement prises par Néron pour secourir les sinistrés, la rumeur publique accuse l’empereur d’avoir mis le feu à la cité. L’hypothèse est peu vraisemblable, l’origine de l’incendie étant probablement accidentelle. Néron se disculpe en rejetant la responsabilité du drame sur les chrétiens, qui, au nombre de 2 000 à 3 000, apparaissent comme les incendiaires tout désignés et sont suppliciés.

La reconstruction de Rome sur un plan nouveau et rationnel ainsi que divers travaux publics entraînent de lourdes charges pour le trésor. Des prodigalités, comme la construction de la Maison dorée, sur l’Esquilin, à l’emplacement du palais disparu lors de l’incendie, épuisent les finances de l’État. Néron abaisse donc le poids de l’or et de l’argent et a recours aux confiscations des fortunes privées, aux spoliations des édifices, au pillage de l’Italie et des provinces, aux contributions imposées aux villes libres et aux alliés. Cette politique d’exaction exaspère ceux qui en sont les victimes. En 65, une conjuration dont l’origine remonte à l’année 62 se noue dans le milieu sénatorial sous la direction de Caius Calpurnius Piso. Par suite d’une trahison, le complot est découvert et la répression impitoyable (17 condamnations à mort, parmi lesquelles celles de Sénèque et de Lucain, 13 à l’exil, 10 dégradations militaires).


La chute

Désormais, Néron vit dans la crainte de nouveaux complots. Hanté par l’idée d’assassinat, il instaure un régime de terreur systématique, frappant aussi bien parmi les membres de l’opposition qui ont le courage de s’élever contre ses folies (tel Lucius Paetus Thrasea) que parmi ses proches. Il est pourtant encore très populaire auprès des masses, qu’il s’attache par des distributions de blé et des spectacles. En 66, les Jeux quinquennaux lui permettent de faire étalage de ses dons de comédien et de chanteur, talents à vrai dire médiocres. Prématurément usé par les excès, le corps alourdi, il fait piètre figure lors des concours, quels que soient les applaudissements de commande qui saluent ses exhibitions. Cette même année 66, Poppée meurt, victime, selon Suétone, d’un de ses emportements. Avec cette femme intelligente et soucieuse de la grandeur de l’Empire disparaissait peut-être la dernière influence qui eût pu freiner le dérèglement du règne. Ce ne sont plus que meurtres en série, encouragés et préparés par Tigellin.