Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
N

Népal (suite)

Longtemps, les régions himalayennes dont le Népal faisait partie ne furent que de vastes forêts au milieu desquelles ne se développa que peu à peu une économie agraire strictement localisée dans les hautes plaines. Le pays en tant que royaume indépendant ne devait s’affirmer qu’assez tard, au viiie s. vraisemblablement. Jusqu’alors, il aurait plutôt dépendu de l’Inde dans la mesure où le pouvoir central y était fort (cf. l’époque d’Aśoka et secondairement les empires kuṣāṇa et gupta). Dans ces intervalles, les Newārs (occupants du Népal sans doute dès l’époque préhistorique) d’origine plus ou moins tibétaine y auraient maintenu les bases d’un État népalais.

La naissance de Gautama le Bouddha à Kapilavastu aux confins de l’Inde et du Népal vers 560 av. J.-C. avait entre-temps fait de cette région l’un des hauts lieux spirituels de l’humanité.

Mais la véritable ouverture du Népal fut surtout au viiie s. d’ordre économique et commercial. Jusqu’alors, les caravanes allant de Chine en Inde devaient effectuer un long et coûteux détour par l’Hindū Kūch et le Tarim. L’ouverture au viiie s. des grands cols himalayens fit du Népal une sorte de Suisse de l’Asie ; les villes de Katmandou et de Lalitpur (Pātan) profitèrent de cette fonction d’escale. Par ailleurs, l’influence indienne put pénétrer peu à peu dans un royaume jusqu’alors assez fermé aux influences étrangères. Sa position géographique lui permit en outre, à partir du xiie s. — début des grandes invasions musulmanes en Inde —, de servir de refuge aux moines bouddhistes et à certains souverains hindous, comme Harisiṃha (xive s.), chassés de leurs États par les envahisseurs et qui se rejetèrent sur le Népal. Celui-ci allait dès lors prendre des traits que nous lui connaissons encore aujourd’hui : institution d’une société de castes fortement hindouisée et maintien d’un puissant foyer bouddhiste. Une fois de plus se confirmait la vocation de carrefour du Népal. Culturel cette fois et non plus commercial. Le dualisme hindouisme-bouddhisme devenait un trait spécifique de la région.

Ce n’est qu’au xviiie s. que le Népal allait connaître une nouvelle phase de sa lente évolution. Divisé en plusieurs principautés, il devait en effet être unifié en un véritable État par la caste militaire des Gurkhās, installée primitivement à l’ouest de la vallée de Katmandou. Maîtres du Népal à partir de 1768, les Gurkhās, issus d’immigrants indiens et de femmes indigènes, se disaient d’origine rājpūte. La véracité d’une telle filiation est on ne peut plus discutable, mais s’inscrit dans une certaine logique : dans le sous-continent, on ne compte plus les castes et groupes ethniques prétendant descendre du prestigieux clan des Rājpūts. Le dynamisme des Gurkhās fut tel, leur expansion territoriale si rapide (ils arrivèrent à contrôler toute la zone de la Tīsta à la Satlej [Sutlej]) que les Britanniques durent intervenir militairement (1814-1816) pour contenir un si entreprenant voisin. Une pression militaire sérieuse sur Katmandou, en 1816, contraignit les Gurkhās à évacuer le Kumāon et le Sikkim. Paradoxalement, la défaite ou du moins le recul gurkhā devait entraîner, avec l’installation d’un résident britannique à Katmandou (traité de Segauli [1816], révisé seulement en 1923), l’établissement de liens d’amitié durables avec la Grande-Bretagne. L’apport militaire des Gurkhās (v. Inde) fut même décisif lors de la grande mutinerie de 1857, bien que les Gurkhās en question fussent d’origine mongole et n’eussent rien à voir avec les Gurkhās dont on vient de parler. Moyennant ce « tribut » payé à la Grande-Bretagne, le Népal gurkhā devait conserver son indépendance.

Mais ce fut au prix d’un repli du pays sur lui-même le figeant dans un archaïsme qui devait se poursuivre plus d’un siècle et entraver toute possibilité d’évolution.

Dans ce contexte, le putsch de 1846 de Jung Bahādur († 1877) transforma la maison royale du Népal en « rois fainéants mérovingiens ». À partir de cette date, la réalité du pouvoir appartint à la dynastie des Bahādur Rānā, véritables maires du palais fondant leur domination sur une aristocratie foncière de quelques centaines de personnes, maintenant au régime une allure quasi féodale, se coupant soigneusement de toute influence polluante, en l’occurrence occidentale ou moderniste, qui aurait rendu leur domination encore plus anachronique. Cet état de choses devait pratiquement se maintenir jusqu’en 1950-51, date à laquelle la monarchie était rétablie dans toute la plénitude de ses pouvoirs.

1951 a été la troisième grande date de l’histoire moderne et contemporaine du Népal. Elle a marqué le début d’une ouverture économique, technique, voire touristique rapide du pays et d’une diplomatie de la corde raide entre la « tutelle » indienne et l’« amitié » chinoise.

Dans une première phase, en effet, le gouvernement népalais se plaça sous la protection de l’Inde. C’est ainsi que de 1952 à 1970 un certain nombre de conseillers militaires indiens furent envoyés par New Delhi. Demandé en 1969, leur rappel devint effectif en 1970. Car entre-temps la situation avait évolué ; le roi Mahendra († 1972) désirait désengager son pays d’une alliance trop exclusive avec l’Inde pour se rapprocher sur le plan commercial entre autres du Pākistān et de la Chine ; du même coup, il accroissait sa liberté de manœuvre. L’aide importante de l’Inde ne risquait-elle pas d’hypothéquer l’indépendance du petit royaume ? N’était-il pas en effet dangereux pour un État coincé entre l’Inde et la Chine de se trouver trop nettement affilié à l’un des deux blocs ? Depuis, le Népal cherche un difficile équilibre entre une alliance indienne presque dictée par l’histoire et la géographie et une amitié chinoise dictée par la raison et le réalisme politique. Transposés à l’échelle d’un petit pays, ces problèmes ne diffèrent guère de ceux qui se posent à l’échelle mondiale, et à cet égard l’expérience népalaise peut avoir valeur d’exemple.

J. K.