Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
N

Néolithique (suite)

Déjà abordé par Darwin*, Alphonse de Candolle (1806-1893) et Nikolaï Ivanovitch Vavilov (1887-1943), le problème de l’origine des plantes cultivées connaît vers 1939 un regain d’intérêt avec Oakes Ames (1874-1950), professeur de botanique économique à Harvard. Profitant des progrès scientifiques, Ames se situe dans une conception moderne des idées darwiniennes. Comme son illustre prédécesseur, il insiste sur la longueur des processus de domestication : il soupçonne une phase horticole entre la prédation et la production des plantes. Par la suite, la préhistoire et la biologie se combinent heureusement pour approcher ces questions dans toute leur complexité. Nombre de savants ont lié leur nom à ces recherches : le Danois Hans Helbaek, le Canadien Richard MacNeish, les Américains Lawrence Kaplan, Kent Flannery et bien d’autres.

Vers 1941, la technique palynologique a renouvelé toutes les hypothèses concernant le Néolithique européen. S’appuyant sur l’analyse pollinique et les données archéologiques, Hans Helbaek a pu suivre ainsi l’expansion des plantes domestiquées à partir du Moyen-Orient. Cultivé dès le VIe millénaire au Kurdistān, un blé, l’amidonnier, ou Emmer (Triticum dicoccum), est adapté vers le Ve millénaire aux plaines mésopotamiennes. Peu avant le IVe millénaire, cette espèce est cultivée avec un nouveau blé, l’engrain (Triticum monococcum), depuis le delta du Danube jusqu’à l’embouchure du Rhin. Ces blés gagnent progressivement toute l’Europe occidentale et s’y installent complètement vers le IIIe millénaire.

Le seigle et l’avoine ont suivi la même expansion, comme mauvaises herbes des champs de blé.

Gordon Childe, en 1952, expose un modèle pour expliquer les débuts de ce qu’il a appelé la « révolution néolithique ». Pour lui, les changements climatiques survenus après le Pléistocène ont concentré hommes, plantes et animaux autour des oasis. Cette « juxtaposition » forcée aurait créé une sorte de symbiose entre l’homme et son environnement, situation dont la conséquence logique aurait été la domestication (théorie des oasis). Robert Braidwood, grâce à ses travaux en Asie Mineure, démontre que les régions ayant connu les premières économies productives n’ont guère subi de changements climatiques à la fin du Pléistocène et démolit ainsi les théories de Childe. Il insiste d’autre part sur le fait que des conditions écologiques analogues ont déjà eu lieu au cours du Pléistocène sans entraîner l’apparition de l’agriculture. Braidwood rend alors hommage à Childe et à sa « philosophie matérialiste de l’histoire », puis élabore à son tour, en 1963, une théorie des « zones nucléaires ». Selon Braidwood, les populations du Croissant fertile, vers 8000 av. J.-C., étaient arrivées à un point de connaissance si parfait de leur environnement qu’elles furent alors en mesure de domestiquer les plantes et les animaux qu’elles cueillaient et chassaient. La domestication serait alors une conséquence logique du progrès des connaissances. Remarquons la parenté de cette théorie avec celle qui fut avancée par Darwin en 1868. Braidwood définit une zone nucléaire comme « une région possédant un environnement qui inclut une variété de plantes et d’animaux sauvages susceptibles d’être domestiqués ». À partir de ces zones nucléaires, l’agriculture se propage sur le reste du monde.

En 1968, Lewis Binford reprend les théories de Braidwood. S’appuyant non plus seulement sur l’Asie Mineure, mais aussi sur l’Amérique, il développe une théorie suivant laquelle la prédation aurait provoqué une rupture d’équilibre entre les ressources naturelles et la démographie. L’homme est alors condamné à assumer lui-même quelques-unes des fonctions de la nature pour endiguer cette crise écologique.

Les préhistoriens connaissent au moins deux zones nucléaires certaines : le Proche-Orient et l’Amérique centrale. Cependant, il apparaît de plus en plus évident que le Sud-Est asiatique constitue une troisième zone d’invention de l’agriculture.

L’agriculture du Nouveau Monde repose sur deux traditions divergentes : la première, caractéristique du sud de l’Amérique centrale, est fondée sur la reproduction « végétative », c’est-à-dire par boutures. Les produits donnent des fécules et du sucre, peu de protéines et de graisses (cas du manioc et de la patate douce). La seconde, fondée sur la plantation des graines, est plus septentrionale. Il est possible que ces traditions soient issues de deux inventions indépendantes. Notons que certains américanistes contestent actuellement l’importance du maïs par rapport aux autres plantes comme base alimentaire. La technique de défrichement employée est l’essartage.

Parmi les premières plantes choisies par l’homme en Amérique centrale pour être cultivées, citons l’amarante et le chénopode apparenté au « quinoa » andin.

Aux alentours de 1400 av. J.-C., l’économie repose sur les trois éléments suivants : maïs, courges, haricots. La courge est plus ancienne que le maïs et le haricot. Elle était vraisemblablement cultivée pour les protéines de ses graines, mais les fleurs et les feuilles étaient aussi consommées. Le maïs est le résultat d’un croisement entre le maïs sauvage et le téosinte. Le haricot, riche en protéine, constituait un appoint important en raison de l’absence d’animaux domestiques.

La zone du Sud-Est asiatique est l’objet d’études intensives. Les spécialistes remettent en question bien des idées acquises et critiquent sévèrement les schémas évolutifs des économies productives proposés jusque-là. Dès 1945, A. G. Haudricourt et L. Hedin avaient placé un foyer indo-océanien d’origine de l’agriculture et de domestication des plantes. Carl Ortwin Sauer, en 1952, reprend l’idée et fait de ce centre l’un des plus anciens. L’environnement végétal, dans cette partie du monde, est exceptionnellement riche. Pierre Gourou (1966) a parlé d’une véritable « civilisation du végétal ». Pour Jacques Barrau (1970), le monde occidental appartient à une civilisation céréalicultrice et bouvière ; aussi acceptons-nous volontiers l’idée d’une grande révolution agricole et « civilisatrice » ayant pris naissance dans le Croissant fertile du VIIIe millénaire. Là furent domestiquées, notamment, nos céréales, aliments végétaux nobles par excellence à nos yeux. S’il est exact que l’apparition de ces denrées agricoles, sèches, aisément divisibles, propres aux échanges commerciaux et au stockage, permit une transformation profonde du mode de vie humain, l’interprétation sommaire d’un tel événement conduit trop souvent à des conclusions hâtives, manifestement ethnocentriques.