Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
N

Necker (Jacques) (suite)

Il semble s’être peint lui-même dans une phrase de son Éloge de Colbert : « Il sera semblable, dit-il, à ces héros de théâtre que des battements de mains excitent ou découragent. » C’est pourtant l’opposition de courtisans et celle de parlementaires qui se sentent menacés par l’expérience des assemblées provinciales qui causent sa perte. Il commet aussi la maladresse de déplaire au vieux ministre Maurepas. Necker fait en effet un rapport sur le ministre de la Marine Antoine de Sartine (1729-1801), qui a mis en circulation sans le prévenir 20 millions de billets sur la caisse de la marine. Le rapport est soumis au Conseil, et Maurepas y voit une manœuvre contre lui.

Son crédit auprès du roi étant mis à mal, Necker veut faire appel à l’opinion publique et rédige en 1781 un Compte rendu au Roy sur sa gestion financière. Marcel Marion (1857-1940) a montré dans son Histoire financière de la France depuis 1715 (1914-1932) que le compte rendu donne une image très floue des finances de la France en 1781. Necker inscrit des sommes dues au Trésor, il ne se préoccupe pas si elles sont effectivement rentrées. De même, il tient pour réels les chiffres des dépenses prévues alors qu’ils ont été parfois dépassés par des anticipations. Il traite du budget de 1781 sans tenir compte de l’arriéré, qui s’élève à près de 200 millions. En fait, il s’agit d’une œuvre de propagande qui travestit la réalité : l’immensité de la dette dont il est en partie le responsable. Comme Necker veut continuer une politique d’emprunt, il lui faut montrer, pour maintenir la confiance, que la gestion est saine.

L’opinion, qui obtient pour la première fois ce que les hommes éclairés du siècle réclamaient, la publicité des finances, retient surtout la part énorme prise par les pensions des courtisans sur le budget de l’État. Necker acquiert par ce compte rendu une popularité durable, et la bourgeoisie s’afflige de le voir contraint à démissionner (19 mai 1781). Dans sa retraite de Saint-Ouen, il consacre son temps à la rédaction d’un livre en trois volumes : De l’administration des finances de la France (1784). Il s’en vend en très peu de temps 80 000 exemplaires. Une polémique très vive s’ouvre entre Calonne* et lui. Le nouveau contrôleur ayant attaqué son compte rendu, Necker le réfute. Or, le roi a marqué sa volonté de voir Necker garder le silence ; le 13 avril 1787, il lui adresse une lettre de cachet qui le contraint à s’exiler, jusqu’au mois de juin, à 20 lieues de Paris. À la veille de la banqueroute, le roi pourtant le rappelle et en fait de nouveau le 26 août 1788 le directeur général des finances.

Necker n’accomplit pas les miracles qu’on attend de lui et ne peut que pousser le roi à convoquer le plus vite possible les états généraux. Pour ceux-ci, il obtient le doublement du tiers, que réclamaient les patriotes. L’engouement du public pour le directeur des finances est alors à son comble. Des images de lui courent les rues ; elles le représentent tenant une corne d’abondance à la main ou bien foulant aux pieds les serpents de la Calomnie et de la Médisance tandis que, « dans le ciel, le soleil dissipe les nuées ». De mauvais poèmes chantent ses mérites, il est :
Le grand Necker dont la sage prudence
Va rendre nos cœurs réjouis.
Tu nous ramènes l’abondance
Sous le bon plaisir de Louis.

En fait, le « régénérateur » est un médiocre politique. Il déçoit le tiers lorsque, dans son discours aux états, il recommande « de ne pas être envieux du temps, de lui laisser quelque chose à faire et de ne pas croire que l’avenir puisse être sans rapport avec le passé ». Pourtant, les aristocrates veulent voir en lui l’un des instigateurs de la résistance que mène du 5 mai au 23 juin 1789 le tiers contre les ordres du roi. Il est vrai que Necker prêche la conciliation à un roi de plus en plus poussé par son entourage à enrayer la « révolution juridique de la bourgeoisie ». Après la séance du Jeu de paume, le 20 juin 1789, il propose d’accorder aux trois ordres le droit de délibérer en commun pour les intérêts généraux de la France, d’abolir les privilèges fiscaux et d’accepter l’accès de tous à toutes les fonctions. Mais le roi, tout en conservant une partie de ce programme minimal, restreint les mesures libérales et assortit la délibération en commun de telles modalités qu’elles la rendent impossible.

Necker n’assiste pas à la séance royale du 23 juin, qui, dans l’appareil militaire où elle se fait, paraît à tous les membres du tiers comme le début d’un coup de force tourné contre l’Assemblée. Son absence lui vaut d’être regardé comme le « chef des rebelles ». Le 11 juillet, il reçoit l’ordre du roi de sortir secrètement et rapidement de France et de n’y plus paraître. Necker obéit. Son renvoi est interprété par la foule inquiète de Paris comme le signal d’une « Saint-Barthélemy des patriotes ». C’est derrière son effigie que les Parisiens commencèrent les manifestations qui conduisirent à la prise de la Bastille (14 juill.).

Rappelé au lendemain de cet événement, Necker voit peu à peu sa popularité s’effriter tandis que grandit celle de Mirabeau*. Son attitude de clémence à l’égard des officiers qui, en juillet, ont chargé la foule, son opposition à l’émission de trop nombreux assignats ne sont pas comprises. On le taxe d’aristocratie. Il offre en septembre 1790 sa démission, et se retire à Coppet.

Comédien sans tréteaux, il s’applique désormais à redire le bout de rôle qu’il a joué dans la Révolution. Ses ouvrages Sur l’administration de M. Necker, par lui-même (1791) ou De la Révolution française (1796) ne seront que de laborieuses apologies. Entouré de l’affection de sa fille, Mme de Staël*, « le bonhomme finit sa vie en radotant » (Bonaparte). Médiocre administrateur, il n’avait jamais été ce qu’il avait ambitionné d’être : un homme.

J.-P. B.

➙ Constituante (Assemblée nationale) / États généraux / Louis XVI / Révolution française.

 E. Lavaquery, Necker, fourrier de la Révolution (Plon, 1933). / P. Jolly, Necker (P. U. F., 1951). / H. Grange, les Idées de Necker (Klincksieck, 1974). / J. Egret, Necker, ministre de Louis XV (Champion, 1975).