Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Entre armateurs, le principe est celui de la libre concurrence. Mais la réalité est tout autre, les armateurs limitant leur liberté d’action en participant à des accords de trafic volontaires, les conférences maritimes. Chaque conférence groupe les armateurs exploitant un trafic maritime spécifique (le trafic Méditerranée-Grands Lacs américains par exemple) et a pour objet d’en réglementer les modalités d’exploitation : nombre de navires que chacun pourra mettre sur la ligne ; nombre de rotations ; taux des frets. Non dépourvus d’aspects positifs dans la mesure où ils évitent une concurrence anarchique, ces accords rencontrent l’opposition des armateurs qui en sont exclus et les réserves des pays concernés par eux, qui les accusent d’entraîner un renchérissement excessif des coûts de transport. Aussi ont-ils suscité des réactions tant nationales qu’internationales : réactions nationales, comme celles des États-Unis, qui, depuis 1961, ont engagé une lutte contre les conférences maritimes, n’hésitant pas à prendre des sanctions même contre des armateurs non américains, voire prétendant les soumettre aux enquêtes de leur administration maritime ; réactions internationales au sein de la C. N. U. C. E. D., organe ayant lancé dès 1967 une étude sur les conférences maritimes, mis le problème à l’ordre du jour de sa réunion de Santiago du Chili en avril 1972 et préparant actuellement un « Code de conduite des conférences maritimes » qui pourrait être imposé aux armateurs mondiaux.

La situation de l’armateur présente d’autres traits originaux. Alors que l’entrepreneur terrestre assume seul les risques de son entreprise*, comme la responsabilité* des conséquences de l’exploitation de celle-ci à l’égard des tiers, l’armateur n’est pas seul face aux risques de la mer, de même qu’il est protégé contre une responsabilité qui serait trop lourde si elle était illimitée.


Exploitation du navire et solidarité

La solidarité face aux risques de la mer se traduit d’abord par une institution qui a ses titres de gloire, ses aspects commerciaux aussi, l’assistance maritime. Bien avant que le droit terrestre impose à chacun de porter secours à toute personne en danger, le droit maritime affirmait le devoir impérieux de tout capitaine de porter assistance aux navires en péril, devoir prescrit par Pie V (pape de 1566 à 1572) comme dans l’ordonnance de 1681. Longtemps, une telle obligation était restée un simple devoir moral, sanctionné seulement par la réprobation de la communauté maritime, mais, dès 1891, elle était assortie d’une sanction pénale en cas d’abordage, sanction généralisée par la loi du 29 avril 1916.

Mais l’assistance maritime est aussi une opération commerciale, systématique pour les entreprises de remorquage en haute mer, exceptionnelle mais normale pour la plupart des autres navires. Alors que la personne qui, à terre, se porte au secours d’un tiers en difficulté n’a droit qu’aux remerciements de celui qu’elle a aidé, l’armateur dont le navire porte assistance à un autre navire se voit reconnaître le droit à une indemnité d’assistance. Cette indemnité est calculée en fonction, notamment, des dangers courus par le navire assisté et de sa valeur, du succès obtenu, des dangers encourus par les sauveteurs et des frais exposés par eux. Elle atteint en pratique de 2 à 10 p. 100 de la valeur du navire et des marchandises sauvés, pouvant dépasser exceptionnellement ce taux. Une partie de cette indemnité, habituellement 10 p. 100, est attribuée à l’équipage, le reste venant augmenter le bénéfice du voyage pour l’armateur, les aspects économiques estompant un peu les aspects moraux de l’institution.

C’est pareillement l’aspect économique qui l’emporte lorsqu’on analyse le second aspect de la solidarité face aux risques de la mer : l’association des contractants de l’armateur aux risques de l’exploitation du navire. Aux époques reculées du droit maritime, cette association était totale, l’armateur mettant son navire à la disposition d’un commerçant pour transporter les marchandises de celui-ci, mais n’acceptant aucunement la responsabilité de la bonne fin de l’expédition. C’était au commerçant de veiller lui-même à la sécurité des marchandises qu’il accompagnait ou de confier cette mission à un subrécargue. Aujourd’hui, l’association, plus nuancée, est plus ou moins étendue selon la relation particulière qui existe entre l’armateur et ses cocontractants. Elle se manifeste toujours, cependant, d’une manière ou d’une autre, sauf en matière de transports de personnes, où le souci d’assurer strictement la sécurité du passager comme aussi certains impératifs commerciaux l’ont emporté sur la tradition maritime. Elle est extrême en matière de remorquage, où la loi du 3 janvier 1969, légalisant une pratique internationale, dispose que « les dommages de tous ordres survenus au cours des opérations de remorquage sont à la charge du navire remorqué », celui-ci devant non seulement supporter les dommages qui lui sont causés par le remorquage, mais encore indemniser le remorqueur du dommage subi par celui-ci sur sa propre action. Elle subsiste dans le contrat de transport de marchandises, où les risques de mauvais temps et surtout les risques découlant des erreurs techniques du capitaine pèsent sur les marchandises. Elle s’exprime particulièrement dans une institution originale à l’extrême, celle des avaries communes.

Selon la théorie des avaries communes, l’armateur dont le capitaine a, par exemple, demandé l’assistance d’un navire tiers, peut obtenir des marchandises chargées à bord une contribution au paiement de l’indemnité d’assistance, « dépense volontairement engagée pour le salut commun ». Cette contribution, proportionnelle aux valeurs respectives du navire et des marchandises, doit être versée même si le navire a été mis en difficulté par une erreur de navigation du capitaine, l’armateur n’étant pas responsable des conséquences de cette erreur à l’égard de la marchandise qu’il transporte.