Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
N

navigation (suite)

Les Nations unies et le droit maritime

Aux premières années de son fonctionnement, l’Organisation des Nations unies n’avait guère attaché d’importance aux problèmes du droit maritime. Certes, elle avait facilité la création d’une organisation spécialisée en matière maritime, l’Organisation intergouvernementale consultative de la navigation maritime (O. M. C. I.). Mais cette institution allait limiter son action aux problèmes concernant la sécurité de la navigation maritime et à quelques questions connexes (notamment à la question de la pollution des mers par rejet d’hydrocarbures). Ultérieurement, cependant, la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (C. N. U. C. E. D.), créée en 1964, a elle-même créé une Commission des transports maritimes, qui, dès 1966, s’est attachée à des études de droit maritime. Puis c’est la Commission des Nations unies pour le droit commercial international (C. N. U. D. C. I.), créée en 1966, qui, à sa première session (janv.-févr. 1968), a décidé de mettre à son ordre du jour l’étude des transports maritimes et a ultérieurement entamé l’examen d’un projet de refonte de la convention de 1924 sur les transports sous connaissement. Enfin, c’est l’O. M. C. I. qui, à l’occasion du désastre du Torrey Canyon, s’est, en 1967, dotée d’un comité juridique, qui a entrepris des travaux importants, travaux qui ont déjà abouti à la signature, en 1969 et 1971, de trois conventions internationales liées au problème de la pollution accidentelle par les hydrocarbures. Cette entrée en force de l’Organisation de Nations unies et de ses institutions spécialisées dans le domaine du droit maritime a été appuyée par les pays en voie de développement, qui reprochent au C. M. I. d’être une institution où des intérêts privés établissent eux-mêmes la réglementation juridique qui va les régir. Aussi bien, le C. M. I. a-t-il tiré les conclusions de l’évolution. Les nouveaux statuts qu’il a adoptés le 15 octobre 1972 n’entendent plus lui conférer aucun rôle privilégié. Ils se bornent à l’inviter à « contribuer par tous travaux et moyens appropriés à l’unification des droits maritime et commercial ». Les nouvelles conventions internationales qui sont en projet seront ainsi rédigées sous l’égide des organes et institutions des Nations unies.


Particularisme du droit maritime

Fondé sur la considération des risques propres à la navigation maritime, le particularisme du droit maritime s’est, à l’origine, exprimé dans les domaines les plus divers. Ce sont les risques de la mer qui ont justifié l’institution de l’abandon, laquelle permettait à l’entrepreneur maritime, l’armateur, de se libérer de toute responsabilité à l’égard de ceux qui avaient subi un dommage du fait de son navire, en leur abandonnant ce navire, alors même qu’il gisait par 2 000 brasses de fond. Ce sont les risques de la mer qui expliquent la naissance et le développement de l’assurance, acceptée et réglementée par le droit maritime, alors qu’elle devait longtemps apparaître aux yeux du droit terrestre comme une opération presque délictueuse, dans la mesure où, disait-on, elle pouvait faire oublier à chacun ses responsabilités. Ce sont eux qui ont suscité l’atmosphère de solidarité dans laquelle baigne la tradition maritime : solidarité des intérêts, avec le thème des avaries communes, qui fait participer la marchandise aux dépenses engagées par le capitaine pour le salut du navire ; solidarité des hommes, avec le traitement exceptionnel des marins par le droit maritime, traitement qui, en France, donna aux marins une avance de trois siècles en matière sociale comme en matière de relations du travail. L’ordonnance de 1681 ne dispose-t-elle pas, par exemple, que « le matelot qui sera blessé au service du navire, ou qui tombera malade pendant le voyage, sera payé de ses loyers et pansé aux dépens du navire » (livre III, titre iv, art. 11), alors qu’il faudra attendre 1898 pour que l’ouvrier blessé au service d’une entreprise se voit accorder des droits loin d’être équivalents.

Aujourd’hui, cependant, les choses ont changé. Au plan des idées, le particularisme fondamental du droit maritime est contesté. Pour certains, il ne se justifie plus, alors que le perfectionnement des navires ou le développement de techniques nouvelles, comme celles du transport par containers, ont rendu les transports maritimes presque aussi sûrs que les transports terrestres. Au plan des faits, ce particularisme s’est atténué. Telles institutions spécifiques au droit maritime lui ont été empruntées par le droit terrestre, comme l’assurance ou le système de prestations sociales créé par Colbert au bénéfice des marins et largement fondu aujourd’hui dans la sécurité* sociale généralisée. Telles dispositions, très originales, prévoyant la participation des marins, ou, tout au moins, de certains d’entre eux, aux décisions importantes du capitaine ont été effacées des textes. Tel régime, comme celui de l’abandon, s’est transformé en un régime beaucoup moins marqué de spécificité. Pour l’essentiel, toutefois, le particularisme du droit maritime demeure à la fois fondé et réel.

Il est fondé, car les risques propres à la navigation maritime subsistent malgré les progrès techniques et ont même, dans une certaine mesure, été accrus par ces progrès. Le radar* permet aux navires de s’apercevoir de plus loin, mais les navires vont plus vite, et les abordages sont toujours aussi nombreux, comme plus dangereux du fait même de la vitesse. Les statistiques montrent que le pourcentage des navires perdus en mer n’a guère diminué durant les vingt dernières années, tandis que la liste des grands sinistres maritimes n’apparaît jamais close, le nom du Torrey Canyon (1967) venant remplacer celui de l’Andrea Doria (1956), pour être effacé par celui du paquebot Antilles (1971).

Ce particularisme est réel, car, au-delà de la disparition, souvent nécessaire, de telle ou telle règle, le droit positif, en particulier le droit français tel qu’il résulte de la refonte de 1966-1969, est demeuré très marqué par l’esprit spécifique du droit maritime classique.