Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
N

Napoléon Ier (suite)

En Espagne, les armées françaises sont prises au piège de leur conquête. L’alliance nouée à Tilsit avec la Russie (1807) s’effrite, et le conflit devient inévitable. Napoléon lie la Russie à la France contre l’Angleterre par un blocus qui gêne l’aristocratie russe. Il refuse de composer avec le tsar, qui veut remettre en cause l’état de fait existant en Europe de l’Est. Et, puisque, de nouveau, les armes seules peuvent trancher, il accepte de mener la guerre au cœur du continent, sûr de l’emporter.

Or, les souverains d’Europe songent à s’allier avec son ennemi. Une formidable coalition va naître pour l’abattre. « Imaginez, dira Joseph de Maistre, un homme au sommet d’une échelle de cent échelons et tout le long de cette échelle des hommes placés à droite et à gauche avec des cognées et des massues, prêts à briser la machine. »

Il faudra trois ans pour y parvenir et, durant ces trois ans, Napoléon se bat avec une énergie, une ténacité, un sang-froid et une intelligence qui font oublier les moments de découragement qui le prennent et le conduisent même, comme en 1814 à Fontainebleau et en 1815 à Waterloo, à souhaiter la mort.

Des steppes de la Russie aux champs de bataille d’Allemagne et de France, il ne cesse de payer de sa personne. Près d’Orcha, un boulet tombe à côté de lui ; il le cravache en s’écriant : « Ah ! Il y a longtemps que je n’en avais reçu entre les jambes. »

Il reste confiant en lui-même. Revenant de Russie à Paris, après l’annonce du complot du général Malet (23 oct. 1812), il reconnaît : « J’ai fait une grande faute », mais ajoute tout aussitôt : « J’aurai les moyens de la réparer. » À Waterloo : « L’armée ennemie est supérieure à la nôtre de près d’un quart. Nous n’en avons pas moins 90 chances pour nous, et pas 10 contre. »

Avec le sang-froid, il conserve cette intelligence à analyser une situation militaire et cette rapidité de décision qui avaient émerveillé à Austerlitz. La campagne de France de 1814 est pour lui « une merveilleuse saison de rajeunissement » (Sainte-Beuve). Reprenant, comme il le dit, « les bottes et la résolution de 93 », il cherche à faire de la France un piège qui se referme sur des armées étrangères, qu’il divise et s’efforce de battre tour à tour. Il fut bien près d’y réussir.

Exilé à l’île d’Elbe, il ne renonce pas et, à l’écoute de la France, il sait, le moment venu, utiliser les fautes de l’adversaire royaliste pour intervenir. Le peuple laborieux des villes et des campagnes, écœuré par les excès des aristocrates, est prêt à soutenir de nouveau Napoléon. Son retour en France n’est pas une « aventure ». Encore lui fallait-il obtenir l’appui des notables dont il avait renforcé la situation et qui l’avaient abandonné. Il n’y parviendra pas. Il comprend alors que, sans l’alliance déterminante de cette force sociale, il ne peut rien. Après avoir hésité, il finira par refuser de n’être que le général de masses populaires de nouveau mises en branle par le souvenir de l’an II.

Et c’est l’exil définitif à Sainte-Hélène, au large de l’Afrique. Pendant les six ans qui lui restent à vivre — il mourra le 5 mai 1821 —, l’Empereur réussit par la création de sa légende le dernier combat de sa vie.

L’île qui lui sert de prison est insalubre, la chaleur y est lourde, la pluie et les brouillards fréquents. Le geôlier, sir Hudson Lowe (1769-1844), est un médiocre hanté par la fuite possible de Napoléon. Pour l’empêcher, il prend les mesures les plus tatillonnes et les plus vexatoires. Napoléon est coupé de tous les êtres qui lui sont chers : Marie-Louise, qu’il attendra en vain, son fils prisonnier de l’Autriche, sa mère Letizia. Sa vie se déroule au milieu des disputes qui opposent Mme de Montholon et Mme Bertrand, femmes des généraux qui l’ont suivi à Sainte-Hélène. Emmanuel de Las Cases (1766-1842), chambellan, à qui il dicte ses Mémoires, doit le quitter en 1816. Deux ans plus tard, c’est le tour du général Gourgaud. Son valet de chambre, Marchand, lui montre un constant dévouement. Sa vie de prisonnier sera un moment égayée par la présence de la jeune Betsy Balcombe.

Mais l’« obèse au chapeau de paille de retraité » devient, comme l’a montré récemment encore l’historien J. Tulard, le héros de la France et de l’Europe révolutionnaires, le martyr de la Sainte-Alliance des rois qui opprime les peuples. Ainsi, Napoléon « confisque à son profit les deux forces montantes du xixe s. : le nationalisme et le libéralisme, qu’il avait en réalité combattues ».

Mais s’éloignait-il de la vérité lorsqu’il se présentait comme l’héritier d’une révolution à jamais vivante dans le cœur des hommes ?

« Rien ne saurait détruire ou effacer les grands principes de notre Révolution [...]. Voilà le trépied d’où jaillira la lumière du monde. [...] et cette ère mémorable se rattachera, quoi qu’on ait voulu dire, à ma personne, parce qu’après tout j’ai fait briller le flambeau, consacré les principes, et qu’aujourd’hui la persécution achève de m’en rendre le Messie. »

J.-P. B.

➙ Beauharnais (les) / Bonaparte (les) / Cent-Jours (les) / Consulat / Corse / Directoire / Empire (premier) / France.

 E. Ludwig, Napoléon (Berlin, 1925 ; trad. fr., Payot, 1928). / A. Fugier, Napoléon et l’Italie (Janin, 1947). / G. Lefebvre, Napoléon (P. U. F., 1947 ; 6e éd., 1969). / M. Dupont, Napoléon en campagne (Hachette, 1950-1955 ; 3 vol.). / Napoléon, cet inconnu (Club du livre napoléonien, 1958). / H. Lachouque, Napoléon en 1814 (Haussmann, 1959) ; Napoléon à Austerlitz (Victor, 1961) ; Napoléon, 20 ans de campagnes (Arthaud, 1964). / E. Tersen, Napoléon (Club fr. du livre, 1959 ; nouv. éd., 1968). / M. Vox, Napoléon (Éd. du Seuil, coll. « Microcosme », 1959). / J. G. Locre, Napoléon au Conseil d’État (Berger-Levraut, 1963). / J. Tulard, l’Anti-Napoléon, la légende noire de l’Empereur (Julliard, coll. « Archives », 1965) ; le Mythe de Napoléon (A. Colin, coll. « U 2 », 1971). / J. C. Quennevat, Atlas de la grande armée. Napoléon et ses campagnes, 1803-1815 (Séquoia, 1966). / J. Mistler (sous la dir. de), Napoléon et l’Empire (Hachette, 1968 ; 2 vol.). / J. Lucas-Dubreton, Napoléon (Larousse, 1969). / P. Masson et J. Muracciole, Napoléon et la marine (Peyronnet, 1969). / A. Soubiran, Napoléon et un million de morts (Segep, 1969). / L. de Villefosse et J. Bouissounouse, l’Opposition à Napoléon (Flammarion, 1969). / J. Cabanis, le Sacre de Napoléon, 2 décembre 1804 (Gallimard, 1970). / P. Sussel, la France de Napoléon Ier, 1799-1815 (Denoël, 1970). / La France à l’époque napoléonienne, numéro spécial de la Revue d’Histoire moderne et contemporaine (A. Colin, 1970). / L. Bergeron, l’Épisode napoléonien. Aspects intérieurs (Éd. du Seuil, 1972). / J. Lovie et A. Palluel-Guillard, l’Épisode napoléonien. Aspects extérieurs (Éd. du Seuil, 1972).