Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
N

Napoléon Ier (suite)

Le général victorieux devient un politique qui organise les conquêtes. Le Directoire craignait que le rapport des forces nouvellement créé dans la péninsule ne favorisât les jacobins italiens et par contrecoup leurs alliés en France. Bonaparte les aide au contraire à fonder sur la Riviera génoise une république « ligurienne » qui sera d’abord sa cliente avant d’être une république sœur de la France. Sur l’Adriatique, il fonde une république « cisalpine ». Il traite avec le pape, qui abandonne à la France Avignon et le comtat Venaissin. Enfin, se servant des territoires de la république de Venise, qu’il raye de la carte, il s’entend avec l’Autriche. Celle-ci, après l’offensive de mars 1797, qui a porté les armées françaises à moins de 100 km de Vienne, signe l’armistice de Leoben, puis le traité de Campoformio (18 oct. 1797). Elle reçoit la partie orientale de la république de Venise, cède en échange les Pays-Bas et le Milanais à la France, et reconnaît à celle-ci des droits à l’annexion sur la rive gauche du Rhin. Le Directoire doit tout à Bonaparte, et même sa survie.

Le général envoie une partie des sommes d’argent retirées de l’Italie. Enfin, il dépêche vers Paris son bras droit, le général Augereau. Grâce à lui, les menées royalistes seront déjouées le 18-Fructidor (4 sept. 1797). Mais le vainqueur prestigieux est un homme encombrant pour les Directeurs à la veille de nouvelles élections. Il faut vaincre l’Angleterre, restée en lice ; on prévoit contre elle un débarquement. Il est difficile à réaliser. Pour l’obliger à traiter, il faut s’emparer de la route qui mène vers les Indes, lieu de son principal commerce. Une expédition militaire contre l’Égypte est donc mise sur pied ; on enverra dans les sables du désert Bonaparte et ses hommes. Bonaparte accepte d’autant plus volontiers que l’avenir lui semble, pour l’heure, bouché en France.

On a parlé à cet égard du « rêve oriental » d’un général désireux de marcher sur les traces d’Alexandre. On a souligné que, dans les négociations diplomatiques qu’il a menées, il a pris bien soin de se réserver le sort des îles Ioniennes, étapes vers le Moyen-Orient. Enfin, des historiens ont décrit l’épopée égyptienne comme celle « du romanesque militaire » du futur empereur. Il y a là une part de vérité. Mais l’action menée en Égypte même reflète le réalisme de l’homme d’État qu’il est en train de devenir. Sitôt débarqué, après avoir échappé à l’escadre de Nelson, il s’applique à apparaître aux populations conquises plus comme un administrateur et un politique que comme un militaire. Libérateur du joug mamelouk, il veut être regardé aussi comme le rénovateur de l’ancienne puissance de l’Égypte. Assez sage pour respecter la religion musulmane, ce qui doit l’allier au plus grand nombre, il cherche à nouer des relations avec les notables qu’il veut associer à la direction, sous sa tutelle, du pays. Usant à la fois de la propagande par la presse et de la force quand une opposition marquée apparaît, il pratique une politique qui sera la sienne en l’an VIII à l’égard de la France. Rénovateur, il l’est aussi grâce à l’équipe de savants qu’il a entraînés avec lui et qui redonneront au pays l’image de son ancienne civilisation.

Mais l’entreprise tourne court : après les succès d’Alexandrie (3 juill. 1798) et des Pyramides (21 juill.), qui lui ouvrent Le Caire, l’armée est coupée de la France par le désastre naval d’Aboukir (1er août) et obligée de marcher à la rencontre des Turcs en Syrie. Là, l’intelligence stratégique d’un ancien condisciple de Bonaparte à Brienne, Phelippeaux — qui défend Saint-Jean-d’Acre —, mais aussi la soif et la peste arrêtent les Français. La victoire d’Aboukir, remportée sur les Turcs le 25 juillet 1799, semble néanmoins assurer la survie de l’expédition en Égypte. Quand Bonaparte apprend les défaites du Directoire face à une nouvelle coalition, quand il sait la perte de l’Italie, il n’hésite pas un instant et, laissant le commandement à Kléber, il traverse la Méditerranée et échappe comme par miracle aux bateaux anglais. Le 9 octobre 1799, il est à Fréjus. Il gagne Paris, où l’attendent des politiciens qui, prêts au coup d’État, ont une fois de plus besoin d’« un sabre ».

Le péril extérieur a permis aux Jacobins de reprendre pied au pouvoir. Les notables s’alarment : pour se sauver des aristocrates que les armées étrangères ramèneront dans leurs fourgons, ils ne veulent pourtant pas tomber entre les mains des « anarchistes » et des héritiers de l’an II. Autour de Sieyès, des intrigues se nouent. Le but est de prendre en main le gouvernement et d’instaurer un pouvoir stable qui garantira à la bourgeoisie les acquisitions de 1789. Le 18 brumaire (9 nov. 1799), on fait croire au Conseil des Anciens qu’une menace pèse sur lui qui rend indispensable son transfert à Saint-Cloud. Bonaparte, nommé commandant des troupes de Paris, l’escortera et le protégera. Mais Bonaparte n’a pas l’habitude des « journées révolutionnaires », quand bien même elles ne sont que de simples « journées parlementaires ». Devant l’hostilité de la seconde assemblée, celle des Cinq-Cents, il croit opportun de brusquer les choses ; il entre en séance à la tête de ses troupes. On l’accuse de violer le sanctuaire des lois, on l’injurie, il se trouble et doit quitter la salle. Son frère Lucien sauve la situation. Il parvient à faire suspendre le vote sur la mise hors la loi de Bonaparte, harangue tous les soldats et les entraîne contre les députés, qu’il accuse d’être vendus à l’Angleterre. Les députés s’enfuient. Quelques-uns, rassemblés à la hâte, organisent le Consulat provisoire. Les conjurés croient pouvoir manipuler le vainqueur d’Italie. Ils découvriront très vite qu’ils se sont donné un maître.

Le militaire

Son génie n’a pas surgi complet en 1793 au siège de Toulon. Sa doctrine de guerre, sa science, son habileté tactique ont d’abord pour origine des qualités que révèlent son enfance et sa jeunesse : énergie et ténacité, vivacité et imagination, don du commandement et ambition. À Valence (1785), sa première garnison au 4e régiment d’artillerie, en Corse, il lit beaucoup (Plutarque, Cicéron, Montaigne...) et trouve son enseignement dans Montesquieu : « L’objet de la guerre, c’est la victoire ; celui de la victoire, la conquête ; celui de la conquête, l’occupation », et dans Machiavel, qui le suivra dans toutes ses campagnes : « Fais la guerre courte et bonne [...] ; le nerf de la guerre n’est pas l’or mais la valeur du soldat. »